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FILMS : Les Toiles Roses

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Fiche technique :

Avec Sigourney Weaver, Austin Nichols, Carly Schroeder, Ryan Kelley, Henry Czerny, Dan Butler, Scott Bailey, Linda Boston, Susan Ruttan, Melanie Wilson, Dan Wells, Lauren Mae Shafer, Sam Logan Khaleghi, Ele Bardha, Ber Fox, William C. Fox, Jeff Fryer, Kyle Clarington, Shannon Eagen, Brent Mata, Rebecca Louise Miller, Rusty Mewha, Billy Whitehouse, Marshall McClean, David G.B. Brown, Alyssa McMillan, Chris Hendricks, Tevis R. Marcum, Axel Harney, Patrick Michael Kenney, Madge Levinson, Steve Jasgur, Sean Scarlett, Jaime Moyer, Anna Badalamenti, Anthony Moscato, Hadas Corey, Amanda Ryskamp, Julia Mogerman, Rusty Daugherty et Janice O'Neill. Réalisation : Russell Mulcahy. Scénario :  Katie Ford, d’après le livre de Leroy Aarons. Images :  Thom Best. Musique :  Chris Ward. Montage:  Victor Du Bois.

Durée : 90 mn. Bientôt disponible en DVD Zone 2, VO, VOST et VF (octobre 2010).



Résumé :

Au début des années 1980, à Walnut Creek, au nord de la Californie, Mary Griffith (Sigourney Weaver) est une chrétienne dévote qui élève ses enfants selon les enseignements conservateurs de l'église presbytérienne. Cependant, quand Bobby (Ryan Kelley), le plus jeune de ses fils, un garçon angélique de 17 ans, confie à son frère aîné Ed (Austin Nichols) qu’il est peut-être gay (car il rêve de garçons, pas de filles !), la vie change pour toute la famille. La mère enquête et a bientôt la conviction que son fils est gay. Tandis que le père de Bobby et le reste de la famille acceptent lentement le fait que Bobby soit homosexuel, Mary refuse cette évidence qui la désespère car d’après les écriture Bobby serait condamné aux flammes éternelles.



Elle estime que si Bobby n'est pas « guéri » de son homosexualité, la famille ne sera pas ensemble dans l'au-delà. Elle commence une campagne visant à "guérir" son fils. Elle affiche des passages des Écritures sur le miroir de salle de bain. Elle le force à participer à des séances de thérapie. Elle est persuadée que Dieu peut guérir son fils de ce qu’elle considère comme une maladie.



Elle persuade Bobby de prier plus fort et de rechercher une consolation dans des activités ayant trait à son église. Dans l’espoir de changer, et surtout devant le désespoir de sa mère, Bobby fait ce qu’elle lui demande. Mais son rejet par l’église en raison de son homosexualité fait que le garçon se renferme de plus en plus sur lui-même. Il culpabilise devant la peine qu’il inflige à sa mère. Bientôt, il s’abime dans une dépression qui le conduit au suicide.



Confrontée à cette tragédie, Mary commence à remettre en cause sa foi quand elle ne reçoit pas de réponses de son pasteur au sujet de son deuil dévastateur. Par un long et douloureux cheminement, Mary intègre lentement la communauté gay où elle découvre un réconfort inattendu. Finalement, de façon posthume, Mary acceptera l’homosexualité de son fils et deviendra alors une militante des droits des gays aux USA.



L’avis de Bernard Alapetite :

Peu de choses m'agace autant que de voir apparaître au début d'un film une phrase telle que « d'après une histoire vraie » ou quelque autre texte approchant. Je vois dans cette augmentation indéniable des films tirés de faits et de personnages ayant existés, un signe évident de notre décadence. Car ce manque de confiance dans la fiction sape les fondements d'une civilisation bâtie sur des mythes qui n'est qu'un autre nom de la fiction...



Or donc Bobby seul contre tous (Prayers for Bobby) est basé sur le livre américain éponyme de Leroy Aarons ; les noms propres n'ont même pas été changés. Les producteurs expliquent leurs motivations : « Le livre Leroy Aarons a changé l’état d’esprit d’innombrables personnes et a ainsi sauvé des centaines de vies depuis qu'il a été édité. Nous espérons que le film, puissant, continuera à faire changer les mentalités et à rendre justice à la mémoire de Bobby Griffith. »



Dire que le film n’est pas révolutionnaire dans sa mise en scène est un euphémisme, mais la réalisation est efficace. Même s’il est dommage que parfois Mulcahy gâte cette efficacité par un petit nombre de fioritures inutiles. Même si l’on comprend bien qu’il utilise ces astuces pour accentuer avec sa caméra notre empathie pour la détresse émotionnelle de Bobby. Stratagème qui lui évite un long discours explicatif en voix off. Le scénario n’évite pas les clichés (le frère, joueur de football américain, par exeple), néanmoins tout sonne juste en particulier les dialogues dont l'intervention de la mère devant le conseil municipal qui est très forte.



Il faut resituer historiquement le drame. Le scénario couvre trois années. Le film commence en 1979, époque où l’homosexualité était au cœur d’un débat aux USA qui posait la question de l’acquis et de l’inné des préférences sexuelles. On peut penser d’autre part qu’en 1979, l’homosexualité était moins bien perçue aux USA qu’aujourd’hui, même si la récente controverse sur la proposition 8 en Californie pourrait nous faire penser le contraire...



Le talent de Sigourney Weaver, qui a rencontré la vraie Mary Griffith, et celui des autres acteurs (en particulier de Ryan Kelley qui défend son personnage avec beaucoup de sensibilité) parviennent à nous faire oublier le didactisme du film. On comprend bien que le film a d’abord été fait à l’usage des parents de jeunes gays. Interrogée sur l’opportunité d’une prestation dans un téléfilm (ce sont ses débuts à la télévision), Sigourney Weaver a déclaré que plus de gens sont susceptibles de voir ce téléfilm que n’importe lequel des films de cinéma qu’elle a tournés auparavant. Il est amusant en regard de leur navrante programmation habituelle de remarquer que M6 ait passé ce film à 13h 30 un lundi, sans doute pour éduquer la ménagère de moins de cinquante ans oisive ! On peut toutefois penser que le diffuser à 20h30 aurait été bien plus courageux...



S’il est normal qu’en raison de sa notoriété on se focalise sur Sigourney Weaver, il ne faudrait pas oublier les autres acteurs presque tous chevronnés, même les plus jeunes, et en particulier Ryan Kelley qui est loin d’être un inconnu… que l’on se souvienne de l’excellent Mean Creek de Jacob Aaron Estes et plus récemment Lettres d’Iwo Jima de Clint Eastwood. Il retrouve Carly Schroeder qui incarne la sœur de Bobby et qui jouait également dans Mean Creek.



Qu’un tel film ait eu beaucoup de mal à se monter dénote d’une homophobie certaine du milieu cinématographique américain. Sigourney Weaver avait déjà essayé de monter l’affaire dans les années 1990. Elle est aujourd'hui productrice associée sur le film. Le producteur principal, Daniel Sladek, depuis sa découverte du livre en 1997, a du batailler ferme pour y parvenir. Il y a eu un autre projet qui a avorté avec NBC avec Susan Sarandon dans le rôle de Mary Griffith. En 2000, une autre tentative a également échoué. Le film a été pensé dès sa mise en œuvre pour essayer de rafler des Emmy Awards.



Le réalisateur, Russell Mulcahy, est l’auteur du premier Highlander. On lui doit aussi des épisodes de Skins et Queer as Folk.



La diffusion du film, le 24 janvier 2009, a fait grand bruit aux USA. Il a été vu par beaucoup d'associations LGBGT comme un modèle pour la lutte contre l'homophobie. L’équipe du film a participé à un gala du Trevor Project (une association fondée par James Lecesne qui vient en aide aux jeunes LGBT).



Un film militant qui réussit à être émouvant et qui dénonce l’obscurantisme religieux et la bigoterie. Il devrait être montré obligatoirement à tous les parents qui envisageraient de renier leur enfant s’il était gay.



Un film dans la lignée de Milk.

Pour plus d’informations :

Le site du film : http://www.prayersforbobby.com/


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Fiche technique :
Avec Toby Stephens, Tom Hollander, Rupert Penry-Jones, Samuel Wes, Anna-Louise Plowman, Adam Blackwood, Lisa Dillon, Peter Eyre, Jenna Harrison, Daniel Hart, Patrick Kennedy, Simon Woods, Stuart Laing, Leon Lissek et Anthony Andrews. Réalisation : Tim Fywell. Scénario : Peter Moffat. Musique : John Luan. Montage : Chris Gill. Direction artistique : Emer O Sullivan. Son : Steve Fish.
Durée : 240 mn (4 x 60 mn). Disponible en VO.



Résumé :
Angleterre, 1934. Kim Philby (Toby Stephens) est un étudiant idéaliste au sein de la prestigieuse université de Cambridge. Il aimerait pouvoir agir contre le fascisme qui gagne l'Allemagne et l'Italie. Il désire intégrer le parti communiste, la seule force qu'il juge suffisamment puissante pour mettre un terme aux dictatures qui se propagent en Europe. Il rencontre Guy Burgess (Tom Hollander) et Anthony Blunt (Samuel West) qui ont la possibilité de le faire entrer dans le parti. Mais avant, Kim Philby doit convaincre son meilleur ami, Donald Maclean (Rupert Penry-Jones), de le suivre. Or, ce dernier craint de trahir les idéaux de son père s'il s'allie aux communistes... Son père meurt, plus rien ne le retient. Ces quatre hommes assoiffés d'idéalisme et de justice sociale, désirant lutter contre le nazisme, vont trahir leur pays sans vergogne, durant vingt ans, au profit de l’URSS.
Maclean, converti, est aussitôt envoyé en Autriche par Otto, leur mentor en espionnage, pour convoyer des instructions. Il y tombe amoureux et se marie avec son contact, la belle Litzi (Lisa Dillon) qu’il ramène à Londres… mais le parti exige qu’il rompe. Il obéit. Leur diplôme universitaire en poche, les quatre compères vont tenter d'infiltrer les sphères d'influence de la société britannique en cachant leur passé de militants communistes. Blunt tire profit des relations qu'entretiennent ses proches avec la famille royale. Maclean rejoint le bureau des affaires étrangères. Burgess travaille à la BBC et entre dans les services secrets, tout comme Philby à qui l’on a demandé de devenir un journaliste pro-allemand. Ce dernier est envoyé en reportage en Espagne pour couvrir la guerre civile. Mais sa véritable mission est d'assassiner Franco... Devant le caudillo, il ne parvient pas à passer à l’action…

 


C’est bientôt la guerre. Les quatre camarades sont ulcérés par le pacte germano-soviétique. Leur foi en l’Union Soviétique est ébranlée. Comme tous les autres Anglais, ils luttent contre le nazisme. Donald commet l’irréparable : il avoue à sa femme (Anna-Louise Plowman) ses activités d’espionnage. Il déclare à Blunt vouloir se retirer. Ce dernier veut faire de même en achetant sa libération avec des informations cruciales sur la famille royale britannique. La guerre prend fin mais bientôt une autre guerre commence que l’on appellera « guerre froide ». Moscou demande aux espions anglais de leur communiquer des renseignements sur la bombe atomique américaine. Ce que Philby, Burgess et Maclean sont en mesure de faire, se trouvant en poste à Washington. Ils s’exécutent. « Grâce à eux », l’URSS obtient l’arme nucléaire. Les Américains ont rapidement la preuve que les fuites viennent de l’ambassade de Grande-Bretagne. Après une longue enquête, les soupçons se portent sur Maclean. Juste avant d’être arrêté, il parvient à passer à l’Est en compagnie de Burgess...



L’avis de Bernard Alapetite  :
Voilà une série qui n’a pas peur de s’attaquer à l’Histoire, mais aussi l’histoire d’espionnage la plus fameuse du XXe siècle communément appelée « Affaire Philby », du nom d’un des quatre protagonistes de cette épopée qui pourrait aussi s’appeler « les quatre mousquetaires de l’espionnage ». Cet épisode rocambolesque de la guerre froide est à l’origine de bien des films de fiction, encore plus de documentaires et de moult livres, tant historiques que romanesques.
Tout d’abord, un petit survol des précédents en se focalisant sur la fiction tant cinématographique que littéraire… On ne sera jamais assez reconnaissant à ces traîtres d’avoir été à l’origine de la quasi totalité de l’œuvre de John le Carré et notamment de La Taupe et Les Gens de Smiley, livres directement rattachés à cette affaire. Elle est également très présente dans l’un des plus beaux romans français des années 70, Les Poneys sauvages de Michel Déon (Gallimard). Et surtout, elle est au centre du beau et trop méconnu roman de Bernard Sichère, La Gloire du traître (Denoël), qui met au centre de l’intrigue l’homosexualité des personnages !

 


Pour le cinéma, la référence est Another Country de Marek Kanievska avec Rupert Everett et Colin Firth, adapté de la pièce éponyme de Julian Mitchell. Le film ne traite que de la rencontre dans une public school des futurs espions de Cambridge et de leurs amours (si l’on excepte une courte incursion en 1984, année de sa sortie). Bien que les noms soient modifiés, la référence historique est explicite. Le film suggère que c’est l’empêchement de vivre leur homosexualité au grand jour qui serait à la racine de leur engagement communiste. Cette histoire doit hanter le réalisateur, car en 2002 il tourne Secret d’État, toujours avec Rupert Everett qui – cette fois – incarne un clone de Philby lorsqu’il terminait sa carrière d’espion à Beyrouth dans les années 60. On peut mentionner aussi Les Espions Burgess et Maclean (DVD BBC/Le Monde), un docu-fiction très didactique qui relate la fuite, en 1951, de Burgess et Maclean à L’est. Dans Blunt The Four Man de  John Glenister (datant de 1992), l’éclairage privilégie le seul des quatre dont la vie n’a pas été détruite par son engagement. Le rôle de Blunt y est tenu par Ian Richardson et celui de Burgess par Anthony Hopkins. L’homosexualité des protagonistes est bien soulignée et présentée comme le moteur de leur révolte. John Schlesinger a consacré un film, An Englishman abroad (1983), à l’histoire de Burgess (interprété par Alan Bates). Le cinéaste est revenu sur le sujet en 1992 avec A Question of Attribution.

 


Dans la masse des documents et récits parus sur cette affaire, il me parait utile d’en extraire Mes Camarades de Cambridge de Youri Ivanovitch Modine (éditions Robert Laffont, 1994). Pour la première fois, un livre présente l'envers « officiel » du décor et le rôle concret de l'officier traitant. L’auteur, qui se réserve le beau rôle, a été attaché de presse à l'ambassade soviétique à Londres, et surtout officier du KGB. Il raconte comment il manipulait ses informateurs bénévoles. Ces étudiants de Cambridge qui se prirent de sympathie pour la cause communiste dans leurs années de jeunesse avant 1940 et qui n'hésitèrent pas un seul instant à rendre des services au régime stalinien durant les années 50 et 60, au pire moment de la guerre froide. On y apprend qu’ils n’étaient pas quatre mais cinq ! (Et même un peu plus). Le cinquième, Cairncross (il n’apparait que furtivement dans Cambridge Spies) vit encore en Angleterre (qu’il n’a jamais fuit) et était motivé par son antifascisme foncier. Il a été cet espion efficace qui permit aux soviétiques de tout savoir de l'armée allemande grâce aux informations prélevées directement à l'état-major britannique. À la lecture de ce livre, on reste stupéfait de l’importance des informations que le réseau transmet aux soviétiques, surtout via le courrier échangé entre Américains et Britanniques, y compris sur la conception d'une arme nucléaire ; on reste confondu devant l'innocence affichée, le manque de scrupules et l'absence de regrets, une fois découverte leur « sale » mission, dont témoignent ces agents.


Les « damnés » de Cambridge ont donné lieu à bien des fantasmes et leur dénomination de gentlemen espions est quelque peu usurpée. En vérité, ils étaient loin d'avoir tous du sang bleu. Par ailleurs, ils n'étaient pas tous amis comme le montre la série, et pas tous homosexuels. Mais Anthony Blunt et Guy Burgess seront les deux à la fois, leur histoire demeure indissociable. Blunt est le personnage le plus extraordinaire de cette épopée. Le livre que lui a consacré Miranda Carter, Gentleman espion, aux édition Payot est une source aussi passionnante que sérieuse, non seulement sur Blunt mais sur toute cette affaire. Au début des années 1930, à Trinity College, ils font partie d'un club secret animé par John Maynard Keynes : « La Société des Apôtres », dont ils vont être les Judas. L'auteur du Traité de la monnaie est aussi celui d'un concept plus risqué pour l'époque : La Sodomie supérieure (The Higher Sodomy). Les bacchanales entre garçons et les livraisons de documents stratégiques à une puissance étrangère ont alors ceci en commun : c'est la prison si l'on se fait prendre... Comme on ne prête qu’aux riches, en 1998, l’Australien Kimberley Cornish suggérait dans son livre Wittgenstein contre Hitler (PUF éditeur) que le philosophe (gay… aussi) aurait pu avoir fait partie du groupe d’espions de Cambridge. D’autres sources supputent que Victor de Rothschild en aurait été aussi !



Le premier épisode de la mini série se déroule dans le cadre, toujours plaisant et exotique, des collèges anglais. Il apporte son lot d’informations sur la vie quotidienne de ces lieux extravagants pour le profane. Mais on a bien du mal à s’intéresser aux péripéties des héros, en raison de la mollesse de la mise en scène et du peu de charisme des acteurs. Mais surtout, on ne comprend pas pourquoi ces quatre garçons privilégiés, brillants et fantasques, comme il est de bon ton de l’être dans sa jeunesse pour la caste supérieure de l’empire britannique, vont se mettre au service de la dictature communiste. On ne comprend pas plus comment ils ont connu leur mentor et pourquoi ce dernier recrute de tels pieds nickelés, car c’est bien ainsi que nous les percevons. Le réalisateur pense qu’en juxtaposant des scénettes signifiantes, il va rendre audible son propos. Il n’en est rien, faute de liaisons entre elles. Lorsque l’on rassemble le puzzle, on ne voit guère que quatre pantins qui parlent beaucoup et ne font pas grand chose. Ils semblent en outre (en particulier dans le deuxième épisode, qui par ailleurs est plus clair que le premier) être les seules personnes intelligentes, perdues dans un monde de ganaches et de femmes faciles. Pas plus que leurs opinions politiques, leur homosexualité n’a de densité. Elle est tout au plus fugitivement décorative.

 


Il faut attendre le deuxième épisode pour que les personnages se dessinent. On ne comprend pas d’avantage par quel miracle Blunt est nommé conservateur des collections royales. Rien n’est montré de sa précoce passion pour l’art. Il a fondé un journal d’étudiants dédié à l’esthétisme dès sa première année à Cambridge, ce qui est finement décrit dans La Gloire du traitre, dans lequel Bernard Sichère n’utilise pas les noms réels mais des patronymes transparents (Blunt devient Blake), ce qui lui laisse une liberté qui a vraisemblablement manqué à Peter Moffat, scénariste de Cambridge Spies.

 


Néanmoins cette mini série a l’immense mérite de nous faire réviser (et malheureusement pour beaucoup apprendre) notre histoire moderne. Elle soulève des lièvres historiques, et pas des petits, non… des bons gros mastards. Premièrement, Maclean aurait été chargé par le KGB d’assassiner le général Franco à la fin de la guerre d’Espagne mais il se serait dégonflé (pas insensible aux moustaches du caudillo peut-être ?). Deuxièmement, la famille royale aurait été plus ou moins informée des activités pro-communistes de Blunt et l’aurait couvert en souvenir de services rendus à la dite famille. Pourquoi pas, tout est toujours possible, même le plus improbable… Mais pour que le spectateur adhère à de telles hypothèses historiques, faut-il encore qu’il soit en confiance, et pour cela ne pas lui avoir montré une scène des plus improbables auparavant ! C’est le cas avec le flingage, à bout portant, en pleine rue à Vienne par des policiers d’un réfugié allemand, approximativement en 1936… soit deux ans avant l’Anschluss !



Cambridge Spies est souvent caricatural et ne s’embarrasse que de très peu de subtilités. On nous montre comme une évidence (voire avec grossiereté) ce qui etait suggéré avec finesse dans Les Vestige du jour que (toute ?) l’aristocratie britannique avait des sympathies nazies. Cette lecture n’est pas recevable, sauf pour les nostalgiques des bons vieux partis communistes des années soixante.
On peut être pour le moins interloqué par le fond de la série qui est condensé dans la dernière réplique que Blunt adresse à une de ses anciennes relations du temps de Cambridge qui lui demande ce qu’on fait ses amis (outre le ridicule d’une telle question, tout le royaume était informé de ce qu’étaient devenus ses complices) : « de grandes choses », réplique difficilement recevable aujourd’hui. Rappelons que ces « grandes choses » ont d’abord consisté à se mettre au service du régime stalinien qui, dans le même temps, organisait la grande famine en Ukraine qui fit trois millions de morts. Certes ces jeunes gens de Cambridge l’ignoraient. Mais à cette époque, les yeux d’André Gide s’étaient vite dessiller...

 


Bien des défauts de cette œuvre auraient pu être corrigés grâce à une durée plus longue. Il me semble que ce problème de la durée des œuvres n’est que rarement pris en compte par les décideurs du cinéma et de la télévision. Il est patent qu’il est difficile de faire une traversée de l’histoire de l’Europe entre 1930 et 1960 en quatre heures. Il est curieux que ce phénomène « qui trop embrasse mal étreint » atteigne surtout des productions télévisuelles historiques. Ce même mal contamine également d’autres mini séries comme De Gaulle ou Les  Amants du Flore qui souffraient aussi du défaut de vouloir ramasser en trop peu de temps la narration d’événements qui se trouve bien trop à l’étroit dans le carcan horaire qu’il leur est imposé. Alors que Sartre, qui se déroule sur sept ans (de 1958 à 1965), est une réussite complète. Pourtant la diffusion à la télévision offre plus de souplesse que celle en salle.

 


Une autre possibilité aurait été d’intégrer à la narration des actualités d’époque et/ou des interviews de survivants ayant connu les protagonistes de cette passionnante affaire, ou bien encore nombre de spécialistes du sujet. De tels ajouts apportent beaucoup à ces deux remarquables productions télévisuelles que sont Albert Speer, l’architecte du diable et Thomas Mann et les siens.
Une possibilité qui aurait permis d’éviter certaines erreurs : ne pas forcément suivre les quatre personnages principaux dans des parallèles bancals mais nous raconter cette histoire par les yeux de Burgess, qui était le seul à entretenir des relations avec les trois autres – car contrairement à ce que veut nous faire croire la mini série, Blunt connaissait à peine Philby et Maclean.



Certes, on ne peut pas demander à une fiction une vérité historique totale… contrairement à un documentaire ou même à un docu-fiction, mais dès l’instant où une production utilise des personnages historiques, il est impardonnable de travestir peu ou prou la vérité comme c’est le cas ici pour faciliter la narration… par ignorance ?.. par subjectivité politique ou plotiquement correct de l’époque ?
Il est également conseillé de choisir des acteurs qui ressemblent aux personnages historiques qu’ils incarnent… ce qui est le cas, par exemple, dans Sartre et dans Speer, l’architecte du diable. Ce qui n’a pas été (visiblement) le cas ici où seul Rupert Penry-Jones (alias Maclean) ressemble à son modèle.



La mini série a été réalisée pour la BBC, avec un budget de plus de 8 millions d'euros. Le tournage rencontra quelques difficultés. Le Trinity College de Cambridge refusa qu’il se déroule dans ses bâtiments. Il se murmure aussi que Buckingham Palace essaya de faire capoter le projet car Anthony Blunt était, jusqu'à ce que ses agissements soient rendus publiques en 1979, un proche de la Reine. Est-ce pour cela que la Reine mère est caricaturée en pocharde (avant que Stephen Frears fasse de même dans The Queen) ?. Il n’en reste pas moins que dans le deuxième épisode, elle est la seule à se montrer perspicace sur le compte de Blunt.



La série a été récompensée en 2004 aux FIPA Awards et aux Rencontres Internationales de la Télévision de Reims.
Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Réalisation : Pierre Thorreton. Scénario : Pierre Thorreton et Eve Guillou. Montage : Dominique Auvray. Musique : Come Aguiar.

Durée : 100 mn. Sortie en salles le 22 septembre 2010.

 


Résumé :

1958 : Yves Saint Laurent et Pierre Bergé se rencontrent, le premier est alors âgé de 22 ans et le second de 28. Chacun a trouvé l'homme de sa vie. C'est tout du moins ainsi que Pierre Bergé raconte leur rencontre. Début d'une histoire d'amour qui durera 50 ans avec ses hauts et ses bas, jusqu'à la mort du couturier en 2008. On voit Saint Laurent au travail et surtout L'Amour fou nous invite dans l'intimité des deux hommes.


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© Pierre Bergé

 

L'avis de Bernard Alapetite :

On assiste depuis la mort d'Yves Saint Laurent à une sorte de canonisation du couturier sous la houlette et la férule (les deux à la fois) de Pierre Bergé qui s'est intronisé grand pontife de ce nouveau culte. On nous a bien dévoilé quelques turpitudes du futur bienheureux, sachant qu'un saint n'est jamais aussi grand que s'il a fauté ; c'est donc sur le modèle de Saint-François d'Assise que s'édifie le monument à la gloire d'Yves Saint Laurent. Le film de Thorreton en est la nouvelle pierre, soyons certain que cela ne sera pas la dernière.

Le premier moellon fut posé au lendemain de la mort du héros par Pierre Bergé qui endossa pour l'occasion le costume de Bossuet, lors de l'émouvante et brillante oraison funèbre qu'il prononça aux obsèques de son ami.

Depuis cet acte fondateur, il n'y a pas un mois sans un nouvel apport à l'édifice. En vrac, il y eut la vente de la faramineuse collection du couple, puisque couple il y a dans la légende dorée que Bergé promeut. Ce fut l'acmé du culte dans la grande nef du Grand Palais. C'est aussi celui du documentaire. Je rappellerai que Pierre Bergé est partie prenante d'une société de ventes aux enchères qui veut tailler des croupières à Sothesby’s et autres. La grande vente-spectacle fut suivie de plusieurs autres pour assoir dans le public l'idée que l'on avait à faire à un couple d'esthètes. Pierre Bergé aurait sans doute bien voulu accoler au nom de son ami l'épithète de mécène, au même titre qu'un François Pinault (je reviendrai sur le parallèle entre Pinault et Bergé). Mais force est de constater qu'ils n'ont jamais soutenu l'art contemporain et n'ont misé que sur des valeurs sûres et reconnues de l'art : Picasso, Matisse... Ces ventes ont mis en lumière cette collection d'art passionnément réunie. Elles ont dévoilé une quête permanente du beau qui s'est matérialisée des jardins Majorelle à Marrakech au château Gabriel en Normandie en passant par la rue de Babylone.


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© Pierre Boulat Courtesy Association Pierre & Alexandra

 

La teneur de la collection, dont on a une bonne idée en sortant de la projection du film, devrait amener à de nombreuses réflexions, c'est la richesse du film d'en faire naître de nombreuses. La principale tient justement à l'absence d'art contemporain, à l'exception du fameux portrait d'Yves Saint Laurent par Warhol, dans la caverne d'Ali Baba du couple. La différence avec un collectionneur comme Pinault est qu'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé aimaient s'entourer de chefs-d’œuvre pour vivre avec, pour être bien dans leurs cavernes. Il ne faut pas oublier que l'on a à faire à une collection privée; le grand public ignorait tout, avant la mort du couturier, des merveilles qu'avaient accumulé les deux hommes avec autant de goût que de perspicacité et sans ces "conseillers" qui sont les véritables organisateurs de la plupart des collections des richissimes. Le premier souci de Pierre Bergé et d'Yves Saint Laurent était le plaisir que pouvait leur apporter l'acquisition d'une nouvelle pièce, une jouissance au quotidien. Mais comment en imaginer une comparable, avec par exemple les œuvres de la collection Pinault dont je serais curieux de voir la décoration de ses demeures. S'imagine-t-on vivre avec le jeune Hitler en prière, de Maurizio Cattelan, dans un coin de son salon alors que plus loin, dans la chambre à coucher par exemple vous auriez les horreurs nazies et lilliputiennes des frères Chapman et dans la salle à manger, pour alimenter les conversations durant les diners, une copulation en trois dimensions de Jeff Koons !

Ne pensez pas que cette digression est étrangère au film car en son centre se trouve la question de la nature de l'art, de sa place dans la cité et dans la vie de chacun. À l'inverse d'Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, l'idée de collection comme décor de vie va à l'encontre du souci muséale de la plupart des grands collectionneurs d'aujourd'hui.


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© Pierre Boulat Courtesy Association Pierre & Alexandra

 

Puis on a vu dans les kiosques apparaitre un numéro de Têtu, seul magazine gay de quelque audience en France, dont Pierre Bergé est le propriétaire, voué entièrement au culte et à la mémoire d'Yves Saint Laurent. Il y a peu de temps, on a pu voir, cette fois dans les vitrines des librairies Lettres à Yves, un livre signé Pierre Bergé en personne et paru dans la prestigieuse collection blanche des éditions Gallimard. Je me suis laissé dire que Pierre Bergé aurait des velléités académiques. On peut considérer ce mince ouvrage comme une suite à son beau livre de portraits Les jours s'en vont et je demeure que Pierre Bergé a écrit et que l'on peut trouver en Folio. À les lire, on peut regretter que leur auteur ne se soit pas plus consacré aux lettres. Le petit opuscule a rejoint dans les vitrines les beaux livres illustrant la fameuse vente dont Histoire de notre collection - Pierre Bergé/Yves Saint Laurent, qu'il a concocté avec Laure Adler et qui a été édité par Actes Sud. Les mânes de Saint Laurent réussirent même à investir les bacs des disquaires avec l'album Une vie Saint Laurent d'Alain Chamfort.

Il y a eu encore cet été la rétrospective Yves Saint Laurent au musée du Petit Palais. J'arrête là cette nomenclature, qui est loin d'être exhaustive, des évènements dont la vedette fut Yves Saint Laurent, iconisé depuis sa mort.

Je rappellerai un incident qui illustre bien la finalité de toute la gesticulation de Pierre Bergé depuis deux ans, celui du décrochage sur ordre de l'homme d'affaires du portrait d'Yves Saint Laurent qu'il avait prêté pour l'exposition Le grand monde d'Andy Warhol qui s'est déroulée au Grand Palais au printemps 2009, sous prétexte que le tableau était présenté au milieu d'autres portraits de couturiers, dont les effigies de Sonia Rykiel, Giorgio Armani, Hélène Rochas, Valentino... et non parmi ceux que Pierre Bergé considère comme les égaux d'Yves Saint Laurent, les grands artistes de la deuxième moitié du XXème siècle croqués par Warhol tels Lichtenstein, David Hockney, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Julian Schnabel, Beuys... En définitive, tout le colossal effort de promotion d'Yves Saint Laurent n'a qu'un seul but, que l'on peut juger admirable ou pitoyable, faire que notre époque délivre à son ami un passeport d'Artiste avec un A majuscule pour traverser les tempêtes de la postérité.


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© Alice Springs / TDR


Revenons à nouveau à notre propos sur la place et la nature de l'art. La haute couture est-elle un art ? Pour ma part, je pencherais pour la qualifier d'artisanat mais malheureusement ce beau mot, comme beaucoup d'autres de nos jours a été dévoyé. On le voit, la question n'est pas simple, pas plus que futile. Entendons-nous bien, il n'est pas question pour moi de nier le talent d'Yves Saint Laurent, qui fut immense comme le prouve les modèles que nous apercevons dans le film, mais de réfléchir sur la nature de son travail et la place que lui accordera l'Histoire, puisque c'est d'emblée à ce niveau que se situe le souci de Pierre Bergé qui est le véritable auteur du documentaire. Cette interrogation m'amène à constater la relativement piètre image que donne le film d'Yves Saint Laurent qui n'y parait pas toujours ni cultivé ni très intelligent alors que l'inspiration de ses créations dénote à la fois d'une grande sensibilité mais aussi d'une large culture que corrobore son amour de Proust (son refuge n'était-il pas une bibliothèque ?) et surtout l'excellence de la faramineuse collection.

Revenons à notre sujet, mais peut-être l'avez-vous oublié, qui est le film. Ce dernier est composé d'images d'archives mêlant défilés et interviews d'Yves Saint Laurent, de photos personnelles, clichés intimes de l’homme privé, dans ses demeures, auprès de ses quelques rares amis, et principalement d'entretiens avec Pierre Bergé, filmés par Thorreton l'année dernière, en six sessions étalées sur quatre mois.

Il y a aussi, mais pas assez, des confessions des proches amies des deux hommes, comme Loulou de La Falaise et Betty Catroux.


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© Patrice Habans

 

Yves Saint Laurent - Pierre Bergé, l'amour fou a pour point de départ l'idée d’un documentaire sur les maisons d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, ce qui fait que la fameuse collection des deux hommes demeure au centre du film. Mais bien vite, le cinéaste s'est aperçu que leurs habitants étaient un sujet d'une toute autre ampleur. Ainsi est né le portrait de ces deux hommes fascinants. Passent un peu trop vite quelques "peoples". Ainsi apparaissent furtivement Andy Warhol, Mike Jagger, Jack Lang, François Mitterrand, avec lequel Pierre Bergé cultive (?) un mimétisme hallucinant. La grande intelligence et la mégalomanie sculptent-elles les visages et les silhouettes ? Mais l'entourage est presque entièrement hors champs. À propos de « people », Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, l'amour fou est co-produit par Les films du lendemain, une société de production à laquelle sont associés notamment François Pinault et Bernard-Henry Levy...

Ce qui a fasciné Pierre Thorreton, qui n'avait réalisé jusqu'à présent qu'un moyen métrage, Entre Chien et Loup, c'est la durée, peut-être encore plus que l'essence, de la relation entre les deux hommes : « Je ne connais pas de lien semblable autour de moi. Dans ma famille ou mon entourage, je n’ai jamais connu quelqu’un qui ait vécu cinquante ans avec la même personne. L’histoire que je voulais raconter, c’était surtout : de quoi le lien qui unit ces deux hommes pendant si longtemps était-il constitué. » Le temps est donc le grand sujet caché du documentaire. Pour des hommes aussi connus les images d'archive ne manquent pas, surtout en ce qui concerne Yves Saint Laurent, dont la figure phagocyte trop le film ; alors que la personne la plus intéressante et la plus opaque du couple est Pierre Bergé, mais dans Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, l'amour fou c'est d'abord Bergé qui raconte Saint Laurent et là réside le principal défaut du film, qui induit tous les autres, l'absence de regard extérieur tant on sent le cinéaste au service de son modèle.


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© Pierre Bergé

 

L'abondance de la matière fait que le film s'est donc essentiellement construit au montage et ce qui a été abandonné en dit beaucoup plus que ce qui nous est montré. Tout l'art du documentariste est de donner une homogénéité à son matériel qui est presque toujours hétérogène. Il faut par exemple qu'il évite les contrastes trop forts de lumière pour négocier en douceur le passage d'une séquence en noir et blanc à une autre en couleur. Il y a un grand travail de lissage à réaliser. Dans le cas présent, Thorreton y réussit assez bien en jouant par exemple sur la tonalité qu'il donne aux interview de Pierre Bergé traitées dans des couleurs sourdes et chaudes, dans les bruns et les ocres qui font que nous ne sommes pas trop heurtés lorsque survient un document d'époque en noir et blanc inséré au sein d'une interview. Il a aussi retravaillé entièrement des séquences d'archives comme le discours d'adieu de Saint Laurent, retraitées en noir et blanc, remontée en y insérant des flashes qui entrecoupent le discours. Si le montage est souvent habile et offre de belles transitions comme celle d'un plan sur le dos d'une robe fleurie à un autre sur un buisson non moins fleuri du jardin de la villa de Marrakech, il aurait néanmoins gagné à être plus resserré pour nous éviter quelques plans complaisants comme celui de Pierre Bergé mangeant un œuf à la coque, à moins que ce soit pour nous montrer combien ce milliardaire a su rester simple... Le réalisateur a su éviter un écueil qui guette tous les films d'interviews, le statisme, par la judicieuse idée de prendre comme fil rouge de son scénario la fameuse vente. On voit d'abord les œuvres in situ puis tout leur cheminement jusqu'à l'adjudication. Rien que pour ces images, l'amateur d'art ne peut manquer ce film.

Il est dommage que, comme c'est si souvent le cas, le cinéaste n'est pas su choisir une fin et nous en présente dans les dernières minutes de son opus, plusieurs possibles, s'arrêtant malheureusement sur celle qui me parait la moins pertinente et dont je n'ai pas vraiment compris le sens ; mais je fais confiance à un de mes lecteurs pour être plus perspicace que moi et me l'expliquer...

Le flot d'images est scandé d'une musique au piano, à la fois rythmée et nostalgique.

Malheureusement pour l'entreprise de Thorreton, en abordant son film, j'avais en mémoire un chef-d’œuvre de la même espèce, non moins hagiographique, Chris and Don, a love story de Tina Mascara et Guido Santi, sur un amour qui lui n’a duré "que" 34 ans entre l'écrivain Christopher Isherwood et le peintre Don Bachardy.


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© Pierre Bergé

 

La comparaison ne peut être que défavorable pour Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, l'amour fou, indépendamment des qualités du film, en raison de la nature même des hommes qui en sont les héros. Car contrairement à Isherwood et Bachardy, Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, j'y reviens, ne sont pas à mon avis des artistes. Ils ne sont pas, d'une part, habités par un univers intérieur et, d'autre part, n'ont pas pour le cinéaste qui les filme d'Œuvre, ou du moins d'œuvre pérenne à montrer à l'écran. D'autant que d'une manière inexplicable, on n'y voit presque pas de dessins exécutés par Saint Laurent pour les créations de ses vêtements; alors que l'on nous dit, à plusieurs reprises, qu'ils sont admirables. En ce qui concerne Pierre Bergé, lui-même ne revendique pas le titre d'artiste, ou alors il faudrait que la ploutocratie soit un art et à ce compte-là, Jésus grand multiplicateur de petits pains et de poissons serait un grand artiste... Le cas d'Yves Saint Laurent est plus compliqué. Toutes les actions qu'a mises en branle Pierre Bergé depuis la disparition de son ami sont pourtant pour l'installer dans ce statut d'artiste et même d'artiste majeur du XXème siècle. Ce remue-ménage qu'il a orchestré me parait vain. Ce qui caractérise l'art c'est qu'il traverse les époques. Une œuvre est alors admirée pour elle-même, sans que l'on tienne compte du contexte dans laquelle elle a été créée. Contexte que le regardeur de nos jours ignore malheureusement de plus en plus. Qu'est-ce qui est plus éphémère que la mode, domaine dans lequel Yves Saint Laurent a œuvré toute sa vie ? Qui peut penser que l'on regardera demain ses créations autrement que comme des marqueurs d'une époque révolue ? Il n'en va pas autrement du New Look de Dior, maison dans laquelle Yves Saint Laurent a commencé sa carrière, ou des modèles de Poiret ou de Worth... N'y a-t-il pas un hiatus irrémédiable entre l'éphémère et l'art, donc entre la mode et l'art ? Mais il est possible que je parle d'un temps qui n'est plus et que pérenne et art ont divorcé aujourd'hui…

Peut-être qu'avec ce film, s'apercevant que l'entreprise de faire d'Yves Saint Laurent un artiste majeur était désespérée, Pierre Bergé a voulu infléchir son action pour cette fois, faire du couple qu'il formait avec Yves Saint Laurent, le modèle du couple gay moderne. Il me semble que cette tentative est également vouée à l'échec et cela pour plusieurs raisons. La principale en est l'impossibilité pour un public, gay en particulier, de s'identifier à ce couple composé d'aussi extraordinaires personnages que le commun serait fou de vouloir imiter. D'autre part, il me parait difficile d'entrer en empathie avec des personnes qui, en dépit de leurs qualités (ou à cause d'elles ?) sont aussi peu sympathiques, tout en réussissant le tour de force d'être très souvent émouvantes. Enfin pour ma part, et je ne crois pas être le seul, j'ai toujours trouvé curieux pour un homosexuel de se vouer corps et âme à rendre les femmes désirables alors qu'il ne les désire pas...

Pierre Thorreton, répondant à une question sur la genèse de son film, cite une phrase de Pierre Bergé : « J’aimerais fonder un musée sur le fronton duquel serait écrit : d’où vient l’argent, où va l’argent ? » Si l'on sait à peu près où va l'argent de Pierre Bergé, ce n'est pas encore ce film qui répondra à la question qui m'a toujours tarabusté au sujet de Pierre Bergé : d'ou vient cet argent ? C'est amusant de faire encore un parallèle avec une autre grande fortune de France irriguant (arrosant ?) la classe politique française (il ne faudrait tout de même pas oublier que Pierre Bergé a été le grand bailleur de fonds de Ségolène Royal ; aujourd'hui ses largesses iraient, si j'en crois les rumeurs des couloirs de la rue de Solférino, du côté de Manuel Valls), je voudrais parler de la famille Bettencourt qui au contraire de Pierre Bergé, dans leur cas, on sait d'où l'argent vient mais peu où il va.

La modestie et la pudeur de Pierre Bergé, car il y a de la pudeur et de la modestie chez cet orgueilleux qui n'est pas sans vanité (mais qui en est exempt ?), nuisent à la clarté du propos. Comment peut-on mesurer la charge émotionnelle contenue dans la séquence où l’on voit Bernard Buffet croquer le portrait du jeune Yves Saint Laurent (c'est la seule œuvre de Bernard Buffet que l'on verra dans le film), si l'on ignore que Bernard Buffet a été le compagnon de Pierre Bergé qui fut son amant et que le modèle du peintre vient de le remplacer dans le lit de son ancien mentor. Rien de cela n’est dit dans le film et le spectateur a le sentiment que Pierre Bergé est né de sa rencontre avec le jeune couturier ! Il suffit de lire le livre de portraits qu'il a écrit et la biographie de Bernard Buffet, Bernard Buffet, le samouraï, par Jean-Claude Lamy (j'ai chroniqué ce livre ici) pour savoir qu'il n'en est rien.

De même, si l'homme d'affaires évoque les raisons de la vente de la collection, il ne dit pas que c'était aussi dans le but de récolter des fonds pour sa fondation pour la lutte contre le sida, pour laquelle depuis des années il donne très généreusement. Bergé est un ploutocrate qui parfois oublie de compter.

Yves Saint Laurent - Pierre Bergé, l'amour fou démontre qu'une opération de marketing, paradoxalement désintéressée, peut déboucher sur une œuvre talentueuse aussi grosse d'émotion que de questions.

 

[Note de Daniel Conrad Hall : Un grand merci à Aurélie Clion, Assistante Promotion/Communication de Sophie Dulac Distribution, pour l’invitation en projection de presse, les documents (dont les photos ici reproduites) et pour son professionnalisme (et son écoute constante).]

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Fiche technique :

Avec Daniel Brocklebank, Garry Summers, Bernie Hodge, Dympha Skehill et Vierge Wayne. Réalisation : Darren Flaxstone et Christian Martin. Scénario : Darren Flaxstone et Christian Martin. Image : Simon Pearce. Montage : Darren Flaxstone. Musique : Thom Petty.

Durée : 97 mn. Disponible en VOSTfr.

 


Résumé :

Le Père Jack Gillie (Daniel Brocklebank) entre en prison après avoir été condamné pour un crime. Il voit l'Église l'abandonner, et bientôt remet sa foi en question et se laisse aller au dégoût de lui-même. Ses codétenus croient qu'il a été mis en prison parce qu'il a été jugé coupable d'actes pédophiles. Il commence à semer le doute dans l'esprit de son jeune compagnon de cellule, Rook (Vierge Wayne), presque encore adolescent. Jack devient la proie des autres détenus. D'autant qu'il vient à la rescousse de Rook, qui est quasiment battu à mort par les autres prisonniers lors de la douche collective.


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Mais une protection se présente sous la forme improbable d'un gardien, Martin (Garry Summers), de qui Jack tombe amoureux. Ils entament une relation clandestine aussi dangereuse qu'illicite derrière les portes des cellules. Comme preuve de confiance, Jack révèle la vérité qui se cache derrière le crime pour lequel il a été emprisonné. Enhardi par l'honnêteté de Jack, les deux hommes commencent à planifier leur vie ensemble après la libération de Jack.


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Les prisonniers sont dominés par l'un d'entre eux, véritable parrain dans la prison, Max (Bernie Hodges), qui se met à ruiner cette histoire d’amour. Il manipule la chef des gardiens, Heather (Dymphna Skehill), en révélant la relation de Jack et Martin. Ce dernier est immédiatement suspendu. Sans protection, Jack est de nouveau vulnérable. Il est maintenant tourmenté et traqué par Max.


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Jack essaye de tenir, réconforté par les lettres d'amour et de soutien que lui envoie Martin. Avec la fin de sa peine en vue, Jack se prépare pour une nouvelle vie et un nouveau départ avec Martin.

Le seul obstacle à cette tabula rasa reste Max...


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L'avis de Bernard Alapetite :

Écrit et réalisé par les créateurs de Shank, Darren Flaxstone et Christian Martin, Release (qui peut se traduire par « la sortie ») est pour ma part une énorme déception tant Shank était porteur d'un véritable renouveau du cinéma gay, enfin solidement ancré dans la réalité sociale. Rien de tel avec leur deuxième film qui enfile les invraisemblances comme les perles. On ne peut croire un seul instant aux rapports factices qu'entretiennent les personnages de cette histoire. Les faiblesses du scénario sont multiples. Par exemple, rien ne nous est dit sur comment Max détient un tel pouvoir sur les gardiens et ses codétenus, ni comment il peut avoir accès à un approvisionnement abondant de substances illégales.


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Le manque visible de moyens n'arrange pas les choses, pas plus que la complaisance voyeuriste de la caméra dans les scènes de douche qui sont convenues et gratuites.

Le pire est lorsque les réalisateur mélangent le réalisme glauque de la vie carcérale avec les scènes de rêve d'un surnaturel de pacotille de Jack. La symbiose entre les deux ne se fait jamais.


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Mais comme nous sommes en Angleterre, les acteurs qui sont bien méritants, par leur talent, nous feraient presque croire à ce que l'on voit sur l'écran… à condition de ne rester pas plus de cinq minutes devant.

On peut toujours se rincer l'œil avec la nudité intégrale de Wayne Virgo qui joue toujours aussi bien et est toujours aussi mignon depuis Shank, mais c'est tout de même bien insuffisant pour faire notre bonheur.


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Daniel Brocklebank, qui dans la vie est ouvertement gay et est ici remarquable, a vu sa carrière d'acteur commencer en 1995 lorsque, à l'âge de 15 ans, il a été choisi pour jouer Ralph dans le remake de Lord of the Flies (Sa Majesté des mouches). Il a, sur cette lancée, continué sa carrière d'acteur en jouant surtout pour la télévision anglaise, tout en faisant quelques apparition au cinéma notamment dans The Hours face à Meryl Streep . Il a également participé à plusieurs productions théâtrales, en particulier avec la Royal Shakespeare Company, dans As You Likedans lequel il joua Silvius, ainsi que Chiron dans Titus Andronicus.


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Le DVD est édité en France par Optimale, et je ne résiste pas au plaisir de vous communiquez la réflexion « profonde » inscrite au dos de la jaquette dudit dvd : « Les deux réalisateurs ont voulu démontrer le pouvoir de l'amour en contradiction avec l'idéologie, la théologie et la moralité qui conduisent souvent à la déception. »

Tu l'as dit bouffi !


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Malgré la qualité des acteurs, évitez ce film et revoyez plutôt un épisode de la série Oz ou le film La Conséquence.


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Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Claudia Cardinale. Antonin Stahly-Vishwanadan, Salim Kechiouche, Ramla Ayari, Anissa B’Diri. Mehdi Ben Attia, Abir Bennani, Mohamed Ali Cherif, Lofti Dziri, Hosni Khaled, Ribah Mejri, Ali Mrabet, Drtiss Ramdi, Djaouida Vaughan, Ali Zaouche et Mohamed Graïa. Réalisation : Mehdi Ben Attia. Scénario : Mehdi Ben Attia et Olivier Laneurie. Directeur de la photographie : Sofian El Fani. Monteuse : Chantal Hymans. Compositeur : Karol Beffa.

Durée : 93 mn. Disponible en VF (BQHL).

 


Résumé :

De retour en Tunisie, après la mort de son père, Malik, la trentaine, doit à nouveau vivre chez sa mère. Il voudrait lui dire qu’il aime les hommes, mais il n’y arrive pas et s’enfonce dans ses mensonges. Lorsqu’il rencontre Bilal, tout devient possible : le jeune architecte, son amant et sa mère s’affranchissent des interdits pour embrasser pleinement la vie. Dans la chaleur de l’été tunisien, chacun va toucher du doigt le bonheur auquel il a longtemps aspiré.


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L’avis de Frédéric Mignard :

De jolis paysages et des personnages consistants relèvent le niveau de ce coming out tunisien plutôt sympathique, mais qui souffre parfois de lourdeurs inhérentes au cinéma gay et lesbien.

Homosexualité ne rime pas toujours avec festivité, surtout en Tunisie, où l’aliénation, résultant du secret et du mensonge imposés par toute une culture, n’est pas de première gaieté. Pourtant, loin de dresser un pamphlet dramatique contre une société radicale et intolérante, le réalisateur Mehdi Ben Attia préfère s’attacher aux délicats rapports mère-fils. Plus précisément à ceux qui relient (via ce fameux « fil » du titre) le fils prodige, ici un brillant architecte qui vit dans le placard, et sa mère, véritable symbole d’une bourgeoisie conservatrice, mais pas tout à fait inhumaine.


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Le fils, meurtri de névroses au sein d’une caste et d’une matrie écrasante (le père est décédé et sa proche famille se résume principalement à la matriarche et à ses tantes), doit surmonter les blessures des non-dits qui l’empêchent de se développer. Comme sa psy le lui a conseillé, il doit donc tout balancer à sa maman.

La mère est jouée par la formidable Claudia Cardinale, qui, pour l’occasion, retrouve ses racines. Un choix qui donne une valeur particulièrement sentimentale à ce coming out à la tunisienne. Toujours d’une beauté et d’une prestance incroyables, la comédienne est à l’image des paysages, ensoleillée et luxuriante, et relève le récit de ses exubérances d’autochtone. Son personnage est bien moins le reflet exact d’une nation musulmane peu ouverte sur la diversité des mœurs, que le symbole d’une classe sociale et d’un parcours de vie, celui d’une mère de famille et d’une épouse conditionnée par un environnement qui redoute la solitude. Le traitement de son personnage rend le visage de l’homosexualité en terre maghrébine plus complexe qu’il n’y paraît, la figure maternelle jouée par Cardinale développant chez le spectateur une certaine empathie, alors que l’agressivité de son fils à son égard éloigne ce dernier de notre sympathie.


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Au final Le Fil est un long métrage courageux qui aura sûrement bien du mal à se frayer un chemin dans les salles de son pays, tant il regorge de sensualité masculine, entre baisers non simulés et étreintes corporelles explicites. Toutefois, si la couleur locale donne un cachet séduisant à cette première œuvre aux réminiscences du cinéma de Téchiné et de Gaël Morel (l’un des comédiens, Salim Kechiouche, a d’ailleurs été révélé par ce dernier), le film n’est pas sans défaut. On ne peut que regretter certaines maladresses comme l’insistance sur le corps, notamment lorsque le jeune homme découvre le servant de sa mère. Cette manœuvre illustre moins le désir et les feux ardents de la passion, que certains codes systématiques du cinéma gay et lesbien (et ils sont ici nombreux). De même, les intentions psychologiques de l’auteur, surlignées par l’insistance métaphorique (encore et toujours le fil), génèrent autant de lourdeur que de finesse dans le traitement du personnage principal, brouillant nos sentiments vis-à-vis de ce film intéressant, mais non-abouti.


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L’avis de Voisin blogueur :

Malik (Antonin Stahly-Vishwanadan) revient en Tunisie pour voir sa mère (Claudia Cardinale) et pour quelques projets professionnels. Un retour pas évident : il n’était pas revenu sur sa terre natale depuis le décès de son père. Sa mère ne manque pas de le choyer, sa grand-mère lui met la pression (elle veut avoir des petits-enfants avant de mourir)… Mais Malik a d’autres préoccupations : suite aux conseils de son psy, il est aussi et surtout venu pour dire à sa maman qu’il aime les garçons. L’affaire se révèle délicate, la mère ne semblant rien vouloir voir. Discrètement, Malik se trouve des partenaires dans des aires de drague ou en discothèque. Et parallèlement il développe surtout une attirance pour Bilal (Salim Kechiouche), le « garçon de maison ». Une liaison est-elle possible entre eux, malgré l’homosexualité cachée de Malik et leurs différences de classe sociale (Malik vient d’une famille aisée et Bilal d’une famille sans le sou) ?


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Soleil et beaux garçons, retour à l’écran de Claudia Cardinale dans le rôle d’une mère possessive, Le Fil est un film tentant. Il explore de plus le sujet (encore tabou) de l’homosexualité en Tunisie. Il s’agit donc d’une « œuvre de coming out » mais comme on en a vu des dizaines voire des centaines. Toujours la même histoire sauf que les nationalités et les acteurs changent… Ne vous attendez pas à être surpris, tout ici est relativement téléphoné pour bien faire passer un message de tolérance certes nécessaire mais souffrant d’un certain manque d’originalité. La faute à un désir assumé de vouloir « ratisser large », faire une œuvre très ouverte et compréhensible par tous (belle excuse pour la paresse quand même).  


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Je l’avoue sans aucune gêne : ce qui m’a amené à me jeter sur ce film est la présence au générique de Salim Kechiouche. Icône et fantasme gay absolu, cela fait un moment qu’on ne l’avait plus vu au cinéma et c’est bien dommage. On le retrouve, toujours aussi beau (un peu plus carré qu’avant, ça accentue son côté nounours) et émouvant. Claudia Cardinale cabotine un peu mais parvient à imposer un personnage de mère excessive aussi amusant que terrifiant par moments. La photographie, les images, sont belles, tout cela sent l’été, il y a un petit côté « téléfilm de luxe » pas du tout désagréable, ça se suit avec plaisir.


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Et finalement, Mehdi Ben Attia parvient à se défaire de ses propres maladresses. Ce « Fil » qui empêche chacun de vivre pleinement sa vie et qui est lourdement matérialisé finit par se révéler amusant (quand Malik stresse au bord de la route et tourne en rond). Plus le film avance et plus d’ailleurs la comédie se mêle au drame intimiste. S’il n’y a clairement rien de nouveau sous le soleil, les plus romantiques se régaleront de cette histoire d’amour contrariée entre deux garçons sur le sol tunisien. Et pourront quand même remarquer la petite subtilité du film, énoncée lors d’un dialogue intelligent : et si Malik et Bilal s’étaient rencontrés ailleurs qu’en Tunisie, se seraient-ils aimés ? L’interdit, la douleur, rapprochent les gens et font naitre des histoires passionnées. Victimes et héros à leur échelle, ces deux garçons sont indéniablement touchants.

Pour plus d’informations :


 

Fiche technique :
Avec Nick May, Blake Young-Fountain, Damien Fuentes, Tom Merlino, Brian Patacca, Michael Hill, Michael Apuzzo, Peter Bloch, Daren Dillon, David Beck, Trip Langley, Lamar Staton et Matthew Sandager. Réalisation : Spencer Schilly. Scénario : Spencer Schilly. Musique : Kurt Gellersted. Image : Derek Curl. Montage : Spencer Schilly.

Durée : 81 mn. Disponible en VO et VOSTfr.

 


Résumé :

Depuis quelques mois, Ricky (Nick May) est un houseboy. La vingtaine enthousiaste, il est le numéro 3 d'un couple de trentenaires sexys. Il partage leur maison… et leur lit, une manière comme une autre de payer le loyer, en plus du gardiennage des lieux. En apparence, le trio est heureux. Mais un jour, Ricky s’aperçoit qu'il est passé de mode. Pour Noël, le couple part visiter la famille de l'un d'eux, laissant Ricky seul avec les animaux de la maison.



Se sentant abandonné, rejeté, notre houseboy essaie de retrouver le goût des relations humaines à travers la drague sur le Net et le sexe anonyme. Il invite de nombreux mecs et se retrouve bientôt dans des situations qu’il ne contrôle plus : partouzes imprégnées de drogues diverses, désespoirs sexuels de petits gars paumés… Au milieu de ce capharnaüm, Ricky contemple sa vie et finit par trouver un ami (Blake Young-Fountain) qui lui redonne envie de vivre et d’aimer...



L’avis de Bernard Alapetite :

L'affiche laisse imaginer un de ces films américains à la jaquette ouvertement sexy qui sortent directement en DVD en France. Et dont l'intérêt dramatique, ou comique, est souvent des plus limités… Dans le cas de The Houseboy, on aurait tort de se fier aux apparences. À la fois acide et tendre, pudique et libérée, cette petite comédie tournée avec un budget de misère surprend par son inattendue profondeur…

 


The Houseboy est une sorte de « conte de Noël » gay, un peu comme John l’est aussi, un conte sur l’entre-deux… D’abord entre deux hommes, puis le héros (qui ne me semble pas tout à fait assez girond pour le rôle, ce qui au début est un frein pour compatir au malheur de « cette pauvre fille ») se retrouve entre amour romantique et sexe sans lendemain à deux voire plus, entre appétit de vivre et envie de mourir, entre brutalité humaine et douceur animale…

 


Cette comédie sentimentale replongera beaucoup de spectateurs, peut être, avec nostalgie, au temps de leurs premières amours, quand ils erraient à la recherche de l'homme de leur vie et qu’ils ne savaient pas comment s’y prendre pour le rencontrer. The Houseboy raconte un temps où l’on se sent trop maladroit, un temps où l’on a peur d’être rejeté, de ne pas intéresser...


Ce film est le troisième long métrage de Spencer Lee Schilly après Send in the Clown et Summer Thunder, sorti en France sous le titre Le Zizi de Billy. Il est souvent dangereusement sur le fil entre grotesque et pathétique, pudeur et exhibitionnisme. On peut seulement regretter que Spencer Schilly ait voulu jouer sur autant de tableaux à la fois : une apologie et une parodie de l’univers de l’homosexualité masculine et de sa fixation sur les drogues, le sexe et la jeunesse. On voit bien que ce qui tient surtout à cœur le réalisateur c’est de dénoncer les gratifications et les plaisirs, aussi éphémères qu’instantanés, d’un certain monde gay.


Si les scènes de sexe intenses et crues ne manquent pas et sont filmées d’une manière très directe, The Houseboy est surtout troublant par sa justesse psychologique. Certaines scènes sonnent si vraies que l’on ressent un certain malaise, comme si nous étions des voyeurs de la médiocrité domestique et de la misère sexuelle qui nous est montrée.



La réalisation est basique, solidement ancrée dans le naturalisme le plus prosaïque mais le cinéaste a soigné la direction d'acteurs. Les prestations naturelles et tout en nuances des acteurs nous laissent attendris devant le sort des protagonistes et ajoutent à l’authenticité de ce portrait sans complaisance, mais néanmoins compatissant, des dures réalités de la vie. D’autant que tout cela se passe dans l’ambiance d’une ville nord américaine particulièrement grise…

Pour plus d’informations :

 

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Fiche technique :

Avec Narumi Hiroki, Nao, Ashima Takiyuki, Kobayashi Takahito, Hasegawa Tomotsugu, Masa. Réalisation : Imaizumi Koichi. Scénario : Imaizumi Koichi. Directeur de la photographie : Ide Yutaka & Imaizumi Koichi. Montage : Suguira Fuyuhiko, Otsuka Takashi & Imaizumi Koichi.

Durée : 33 mn. Disponible sur le Net. Film muet.

 

 


Résumé :

Un jeune ange, bien de sa personne, habite (hante ?) des toilettes pour hommes quelque part au Japon. Le lieu est décati, mais propre, grâce à ses soins. La fréquentation est modeste et le séjour donc tranquille. Il y a bien quelques distractions comme un SDF qui décide d'y passer la nuit ou deux garçons qui élisent l'endroit pour y faire l'amour...


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Pour se distraire, l'ange joue avec ses deux colocataires, un boa en peluche et un escargot mécanique... D'autres fois il regarde fixement un extérieur que le spectateur ne verra pas... Passent les jours, passent les heures et coule la pissotière, l'ange demeure. La plupart des visiteurs ne le voit pas, comme s'il était transparent. Mais parfois des urineurs de passage le découvrent, trouvent l'ange à leur goût et le sodomise pour son plus grand plaisir...


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L'avis de Bernard Alapetite :

On peut considérer ce film comme un film expérimental. Il est muet et assez peu bruyant : quelques sons feutrés et une musique parcimonieuse. Silence qui n'aide guère à sa compréhension profonde. Mon interprétation sera donc sujette à caution. L'ange est-il un vrai ange ou un clampin ayant revêtu des atours angéliques ? En l'occurrence une serviette de toilette blanche et des ailes déplumées à l'armature en fil de fer. Je pencherais pour la première supposition car, par instants, l'ange devient transparent et s'évanouit entre les urinoirs. D'un autre côté, il est curieux qu'un ange connaisse le plaisir anal. Je me perds donc en conjonctures...


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On peut comprendre grâce à quelques inserts clignotants que notre jeune homme, avant de devenir un ange, a aimé des garçons...

Je ne peux pas dire que l'action soit trépidante, et on s'ennuie tout de même un peu à observer notre ange batifoler entre les latrines. D'autre part, considération toute personnelle, j'ai été surpris de constater le délabrement de ces toilettes publiques. Je n'en ai jamais rencontré de semblable dans mon petit périple japonais. Le Japon est un pays extrêmement propre et les toilettes y sont particulièrement bichonnées.


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Sur le plan technique, comme quasiment tous les films underground, il est sous-éclairé. L'image est presque toujours granuleuse mais je ne suis pas parvenu à discerner dans ce fait quelle était la part du filmage et celle de la mauvaise qualité de la version téléchargée qui est en ma possession. Parfois, fugitivement, l'écran devient neigeux. Tout cela serait-il vu par le biais d'une caméra de télésurveillance ? Encore une autre hypothèse... Lorsqu'un plan est bien éclairé, ce qui arrive tout de même, on s'aperçoit de la beauté des cadrages.


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À la fin du film, il semble que notre bel ange soit libéré de ses vespasiennes nippones et gagne le ciel. Cet heureux dénouement dans l'optique du salut de l'éphèbe ailé soulève une question théologique qui me semble d'une certaine actualité : se faire enculer conduit-il à la rédemption ?


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À ceux qui ne verraient dans ce film qu'une fantasmagorie, une fois n'est pas coutume, je vais me fendre d'une anecdote personnelle qui a été ravivée dans ma mémoire par Angel in the toilet. Par une belle après-midi de l'été 1983, j'étais aux alentours du boulevard Saint-Germain avec mon petit ami d'alors. Nous fûmes pris soudain d'une envie de chair. Où aller ?


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J'habitais en ce temps-là la banlieue et il fallait bien quarante minutes pour arriver à ma chambre. Lui était encore chez ses parents, dans une autre banlieue, guère plus proche et rien ne disait que son domicile serait vide. Où aller ? Tenaillé par le désir, il me vint soudain une idée ! Nombre d'immeubles parisiens possédaient des toilettes entre les étages d'habitation. Celles-ci directement accessibles par l'escalier. Ces cabinets étaient les vestiges du temps où il n'y avait pas de lieu d'aisance dans chaque appartement. Ils étaient souvent fermés et servaient de débarras mais il y en avait presque toujours un d'ouvert dans lequel la concierge ou le préposé au ménage remisait ses produits d'entretien.


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J'avisais un immeuble qui pouvait répondre à ce type de commodité, les immeubles haussmanniens ou datant du XXème siècle sont à bannir, et j'y entrainais mon ami. Heureux temps où les digicodes et autres barrières électriques n'étaient pas encore en service. Nous voilà bientôt dans l'escalier, j'essaye la première porte. Elle s'ouvre. Nous entrons. On s'enferme et un peu fébriles constatant que le lieu était propre et en plus bien éclairé par une fenêtre, je n'aime pas faire la chose à l'aveugle, nous nous mettons sans attendre à l'action.


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Et puis en plein travail sensuel, pris de distraction ou sentant quelque chose d'inhabituel, je lève la tête. Tout d'abord je constate la grand hauteur de plafond de l'endroit puis je m'aperçois qu'aux deux tiers de la hauteur, une forte planche est fixée formant une large étagère qui forme une sorte d'alcôve dans laquelle était accroupi un homme jeune, un peu négligé de sa personne et qui visiblement à la vue des ustensiles qui l'entouraient y avait élu domicile, il nous regardait forniquer.


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S'apercevant que j'avais découvert sa présence, il me fit un bon sourire en mettant son index sur sa bouche en signe de silence. Me découvrant un flegme que j'ignorais, j'ai continué mon ouvrage comme si de rien n'était. Une fois jouissance faite, nous nous sommes rhabillés. Et nous sommes sortis. Mon ami ne s'est aperçu de rien. Avant de quitter ce petit lieu témoin de notre impatient désir, avant de fermer la porte, j'ai osé un regard furtif et sur sa plateforme, j'ai cru voir que notre vigie se masturbait...


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Comme quoi même les films les plus incongrus peuvent faire remonter des souvenirs...

Deux ans plus tard, Imaizumi Koichi, qui par ailleurs fut acteur dans plusieurs films, tourne Naughty boy, puis en 2007 son deuxième long métrage Hatsu-koi.

Ce film est à recommander chaudement aux fétichistes des anges et aux nostalgiques des vespasiennes.


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Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Alevino Di Silvio (Franco), Francesco Gnerre (Renato), Franco Mazzieri (Vampir), Vinicio Dimanti (Tunte), Ciro Cascina, Rosa Di Brigida, Renato Faillaci. Réalisation : Simon Bischoff. Scénario : Simon Bischoff. Image : Raffaele Mertes. Musique : Alberto Antinori. Montage : Annerose Koop.

Durée : 85 mn. Disponible en VOSTfr.



Résumé :

L’évocation de la prostitution masculine à Rome au début des années 80, à travers le cas de Franco, surnommé « Er Moretto », qui a commencé à se prostituer dès l’âge de treize ans... À travers une interview du garçon réalisée par le cinéaste, on reconstruit (difficilement) le chemin de Franco. Après deux ans d’une vie d'expédients, il rencontre dans une discothèque gay un homme d’une cinquantaine d’années, Renato (interprété par Francesco Gnerre), ce qui lui change la vie. Les deux entament une relation qui va évoluer avec le temps. Franco cesse de se prostituer et trouve un travail...



L’avis de Bernard Alapetite :

Un des films les plus hallucinants que j’ai pu voir (un grand merci à Alain M. qui m’a procuré cette curiosité dont je n’avais jamais entendu parler avant la semaine dernière). Er Moretto oscille constamment entre le documentaire et la fiction. Le film peut être vu comme un plaidoyer, à peine déguisé, pour la prostitution des adolescents pauvres et en difficulté familiale, puisque le jeune Franco, rejeton d'une famille nombreuse, battu par son père et vivant dans une banlieue si sinistre qu’elle ferait passer notre 9-3 pour un lieu de villégiature paradisiaque, se retrouve cinq ans après avoir commencé à faire le commerce de son corps, cravaté, muni d’un travail et vivant dans un appartement d’un quartier résidentiel de Rome (l’E.U.R.). On ne saura que peu de choses de ce qui amené notre tapin à cette aisance petite bourgeoise.



Nous apprenons des brides de vie du dit Franco lors d’une interview, fort lacunaire, réalisée par Bischoff alors que le garçon a 18 ans et dit avoir arrêté la prostitution. Cette confession est filmée frontalement sur un fond neutre. Elle est entrecoupée de longues séquences sensées évoquer la vie du garçon et son contexte dans le milieu de la prostitution romaine.



Franco, qui visiblement n’a pas inventé la pelle à charbon pas plus que le fil à couper le beurre (à sa décharge, Bischoff semble un piètre interviewer mais néanmoins roublard et conscient de sa faiblesse puisqu’il prend soin de faire dire à Franco, dès le début de l'entretien qu’il ne voulait pas jouer dans le film), nous sert un discours petit bourgeois assez antipathique propre en effet aux gigolos que j’ai pus fréquenter dans les mêmes années du côté du drugstore de Saint-Germain-des-Prés (je me demande combien aujourd'hui survivent de ces stakhanovistes du sexe que l'on voyait tourner, parfois des heures durant, moulés dans leurs jeans, l'œil éteint mais néanmoins vigilants, autour du pâté de maisons du drugstore). Bien sûr Franco se veut hétérosexuel et n’admet que du bout des lèvres qu’il lui est arrivé de s’attacher à certains de ses clients.



Franco nie avec force être un “frocio”. Il dit ne pas apprécier le sexe avec les hommes et avoir eu pour Renato, son mentor et bienfaiteur, seulement un rapport d'affection comme celui que l’on a pour des amis ou celui qui existe entre un père et son fils, mais jamais de l’amour. La relation entre Franco et Renato est une histoire qui ressemble à celle que l’on a pu apercevoir ici ou là dans les chroniques mondaines, particulièrement en Italie où nous voyons quelques personnages connus, qui adoptent leur petit ami aimé, et ensuite lorsque ce dernier se marie, « le père » devient le parrain des enfants nés du mariage. C’est un peu l’histoire de Pasolini avec Ninetto...

Le réalisateur, Simon Bischoff, a rencontré le garçon à 13 et 17 ans. Mais malheureusement, il n’y a que des images fixes de leur première rencontre. Le film constate les tristes changements physiques intervenus chez ce garçon durant ces années...



L’extravagance complète du film vient des séquences dans lesquelles Bischoff tente de faire jouer par des acteurs (probablement des amateurs d'ailleurs, aucun n'a tourné d'autres films) et Franco lui-même, des pans significatifs de la vie du garçon. Le cinéaste s’y révèle un exécrable directeur d’acteurs. Mais le plus bizarre sont les séquences où il évoque la prostitution masculine à travers les âges. Ce qui nous vaut des plans fixes qui sont tantôt dans le style de Von Gloeden, tantôt dans celui de Tony Patrioli… et des sketches qui sont des hommages à Fellini. Voir en particulier l’ahurissant pastiche de la célèbre scène de la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita, quand d’autres images font référence à Roma Roma ou au Satiricon. Le plus étrange, c’est que de ces machins nait une poésie tout à fait inédite. Si Bischoff n’est pas doué du tout avec les acteurs, il a en revanche un grand sens de l’image, quelques unes dont celles de garçons dans les ruines romaines (j’ai cru reconnaître outre le cirque Maximus, le forum et les thermes de Caracalla) sont très belles.



Je suppute que ce monsieur doit être un bien meilleur photographe que cinéaste (connaît-on ses photographies ? Il semble que oui, car voici ce que j’ai pu lire, sur le net, sur une page culturelle venant du Maroc : « La galerie Lawrence-Arnott à Tanger abrite du 12 au 30 septembre les œuvres photographiques de l’artiste suisse Simon Bischoff. Cette exposition a pour thème : Obsession Morocco. Artiste aux activités diverses, il semble surtout préoccupé par tout ce qui est image puisqu’il est également metteur en scène et écrivain. Né à Berne, il vit actuellement entre Rome et Tanger. Son travail photographique a déjà été exposé aux quatre coins du territoire européen (Suisse, Allemagne, Hollande, Italie) et aux États-unis. »)



L’étrangeté du film doit beaucoup du choc que crée le naturalisme des images de l’interview et le surréalisme des séquences illustratives.

Un des aspects les plus curieux de Er Moretto est son côté nostalgique pour ces endroits de drague qui n’existent plus aujourd’hui à Rome, en particulier celui du circus Maximus, et à un moindre degré ceux du Colisée et de la gare Termini. Je dois confesser que plusieurs soirs, à la fin de l’été 1978, j’ai rodé autour du Colisée et n’y ai vu, comme seule bestiole, que des chats efflanqués à demi sauvages. C’est un peu comme si un vieux micheton parisien faisait un film pour déplorer la fermeture du drugstore Saint-Germain.



Du circus Maximus, un des lieux principaux du tournage de Er Moretto, il ne reste plus aujourd’hui qu’une vallée que domine le palais impérial, long de 640 mètres. Il demeure le plus grand monument jamais construit dans le monde pour accueillir un spectacle...

Malgré sa singularité, le film peut être rapproché des opus passablement crapoteux du polonais Wiktor Grodecki ou du film suisse Garçon stupide qui possède le même mélange de fiction et de cinéma vérité. Mais ces films sont beaucoup plus crus que Er Moretto. À la vision de ce dernier, on ne peut s’empêcher de penser à tout un cinéma underground gay des année 70, comme Race d’ep dont l’œuvre de Bischoff semble être un surgeon tardif.



Simon Bischoff est né en 1951 à Berne. Après une formation de photographie, il a étudié la philosophie, l'art et la musique au conservatoire de Zurich. Pour le théâtre et le cinéma, il a travaillé comme assistant-réalisateur. Aujourd'hui, il vit au Maroc et y travaille comme metteur en scène, cinéaste, photographe et écrivain. Bischoff a édité un livre illustré où il rend compte des conversations qu’il a eu avec Paul Bowles. Bischoff a tourné en 1998, un documentaire dont le titre est Mon beau petit cul... Ce dernier film, que je n’ai pas vu, serait la chronique de la vie intime de Jean Neuenschwander, un sexagénaire, heureux et extravagant qui a choisit de vivre sa retraite à Tanger pour y vivre pleinement sa sexualité gay auprès des jeunes marocains...

Er Moretto est un film qui doit être vu par tous les amateurs de curiosités cinématographiques et les amoureux de Rome.



Le DVD :

Le DVD suisse du film, facilement trouvable sur Amazon et autres sites de ce genre, comporte des sous-titres français et comme bonus, on trouvera une interview du cinéaste, réalisée en 2004 à Tanger. Celle-ci est en allemand et ne bénéficie pas de traduction.

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Fiche technique :

Avec Guy Marchand, Françoise Fabian, Sabrina Seyvecou, Yannick Renier, François Négret, Catherine Mouchet, Sandrine Dumas, Pierre-Loup Rajot. Réalisation : Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Scénario : Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Image : Matthieu Poirot-Delpech. Montage : Mathilde Muyard.

Durée : 97 mn. Disponible en VF.

 

 

Résumé :

Nous sommes à la fin de l'année 1999. Une belle maison de campagne, environnée d'une forêt, sera le décor unique à l'intrigue. Depuis plus de cinquante ans Frédérick (Guy Marchand), 77 ans, plante des arbres dans cette forêt et depuis plus de cinquante ans, Frédérick vit dans le mensonge. Au retour de l'enterrement de Charles (Pierre-Loup Rajot), son fils aîné, auquel ostensiblement il n'a pas assisté, la famille se réunit dans la gentilhommière. Il y a Guillaume, le fils cadet (François Négret) et sa femme Elisabeth (Sandrine Dumas), Françoise (Catherine Mouchet), veuve du fils aîné Charles, ainsi que sa fille Delphine (Sabrina Seyvecou), accompagnée de son petit ami Rémi (Yannick Renier). Frédérick décide de leur révéler la véritable raison pour laquelle il fut déporté par les nazis alors qu'il habitait en Alsace. Il était homosexuel et a mené toutes ces années une double vie, tout en étant profondément attaché à sa femme (Françoise Fabian). Seuls sa femme et son fils aîné savaient la vérité sur son histoire.


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L'avis de Bernard Alapetite :

Je suis fidèle à Ducastel et Martineau comme on est fidèle à un vieil amant ou une vieille maitresse, d'abord par respect. Voilà deux cinéastes éminemment respectables, c'est sans doute le principal défaut de leur cinéma, comme on le dirait d'un tennisman qui ne joue jamais « petit bras ». Ils empoignent des sujets plus gros qu'eux, cherchent des angles d'attaque inédits, promènent leurs thèmes de comédies musicales en mélos, concoctent des castings toujours excitants, n'hésitant pas à mêler professionnels chevronnés et amateurs. Au final cela ne donne pas des films entièrement réussis, mis à part leur premier, Jeanne et le garçon formidable, leur coup d'essai est jusqu'à ce jour leur coup de maître, mais que l'on est toujours content d'avoir vu. Il en va de même avec L'Arbre et la forêt. Après avoir avec Nés en 68 balayé quarante ans d'histoire de France avec pour pivot la libération sexuelle, cette fois c'est la déportation des homosexuels qu'ils mettent au centre de leur film. La géniale idée est d'aborder le sujet par un biais minimaliste et très borné, la réunion de famille. L'Arbre et la forêt est un huis-clos qui se résume à la confession de Frédérick et aux réactions des différents membres de sa famille devant la révélation qu'il leur fait. La science consommée du cinéma de Ducastel et Martineau réussit à rendre fluide et cinématographique ce qui n'aurait pu être que du théâtre filmé, en fractionnant la confession de Frédérick, en la distillant tout au long du film. Si du point de vue du filmage le procédé est totalement convaincant, il l'est beaucoup moins en ce qui concerne le scénario. Il n'est en effet pas très crédible que Frédérick vide son sac par épisodes et en différents tête-à-tête avec les membres de la maisonnée…


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Je pense que je ne peux aller plus loin dans l'analyse du film sans parler de Guy Marchand qui fait là une composition mémorable tout en retenue et en subtilité. Guy Marchand est de ces acteurs dont on redécouvre périodiquement le talent, alors que cela devrait être une évidence depuis longtemps, que l'on se souvienne du salaud mirlitonesque de Coup de torchon, du veule adjoint de Garde à vue ou encore du père amorti de Dans Paris de Christophe Honoré... Peut-être pâtit-il d'être dans l'esprit d'une grande partie du public une sorte de macho égrillard au sourire en coin, alors qu'il peut être tout autre chose. Olivier Ducastel évoque le choix du comédien pour le rôle de Frédérick : « En regardant Guy Marchand dans le film de Christophe Honoré, nous nous sommes dit qu'il serait un formidable Frédérick. Et une chose amusante, c'était que pour écrire le personnage de Frédérick, nous nous sommes pas mal inspirés de Jean-Louis Trintignant, auquel nous avons aussi pensé offrir le rôle sans trop y croire non plus étant donné qu'il avait dit qu'il ne ferait plus de film. Mais en engageant Guy Marchand nous avions oublié un petit détail de sa filmographie, il avait joué dans Le Maître nageur, un film de Jean-Louis Trintignant justement. »


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C'est dans ce choix à contre-emploi que l'on mesure combien les membres du tandem sont des pros du casting, maestros du contrepied. Il faut également dans ce registre souligner la bonne idée d'employer le toujours bon Yannick Renier dans un registre lisse et solaire, alors que jusqu'à présent on ne l'a connu qu'interprétant des personnages sombres et tourmentés. Le duo ne rechigne pas parfois néanmoins à aller vers l'évidence, comme de faire incarner un personnage d'alcoolique raté à François Negret quand on sait que cet ancien espoir du cinéma français a ruiné sa carrière à grand coup de rasades de whisky. On l'avait quitté il y a 20 ans en adolescent rebelle, on le retrouve émacié par l'alcool. Certains humains sont séchés par l'alcool comme les harengs par le sel ! Le casting peut être un métier cruel... Le couple formé par Guy Marchand et Françoise Fabian est si crédible qu'on les croirait ensemble à la ville. Et puis quel plaisir de retrouver Catherine Mouchet, en vieille petite fille aussi formidable que dans Pigalle.


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Puisque j'en suis aux acteurs, force est de constater qu'ils sont tous bien distribués et que leur qualité est le grand atout du film, d'autant qu'ils réussissent à donner de l'épaisseur à des personnages qui en manquent un peu sur le papier.

Quitte, comme c'est encore le cas dans ce film français, à jouer le naturalisme, faudrait-il aller au bout de cette démarche et doter les personnages d'un métier… Une fois de plus l'argent dans cette famille semble tomber du ciel et ces gens, si l'on excepte Frédérick qui subsiste grâce à la sylviculture, s'ils ont des loisirs ne semblent pas subir de contraintes sociales. Alors que Ducastel et Martineau sont fort habiles pour inscrire leur film dans une temporalité précise (la menace de la grande tempête de 1999 plane sur le film), et suggérer les opinions politiques de Frédérick (enfin un homosexuel de droite, voilà qui est bien contraire à la doxa communautariste), on s'étonne qu'encore une fois ils ne parviennent pas à doter leurs personnages d'une surface sociale crédible. Je pense qu'il y a un petit manque de travail sur le scénario. Il eut été bon également de supprimer les trois courtes scènes dans lesquelles le fantôme du fils défunt apparaît. Elles enlèvent au film du mystère sans pour autant lui apporter un surcroît de densité.


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De densité le personnage de Marianne n'en manque pas et fait apparaître une figure neuve dans le cinéma français. Elle nous dit que l'amour peut se dissocier du sexe. On peut penser que Frédérick et elle ont une vie sexuelle ténue, mais pourtant ils nourrissent l'un pour l'autre un amour très fort. C'est Marianne qui a choisit Frédérick, puis a continué de vivre avec lui et de l'aimer en connaissant la vérité sur ses goûts sexuels. Françoise Fabian, avec son talent et son expérience, sait exprimer toute la richesse du personnage de Marianne qui culmine dans la remarquable scène dans laquelle elle se confie à sa belle-fille, interprétée par la toujours parfaite Catherine Mouchet.

Dans Drôle de Félix, puis dans Ma vraie vie à Rouen, Ducastel et Martineau avaient démontré leur talent de cinéastes paysagistes. Ils le confirment avec les belles images de forêt sur musique wagnérienne de L'Arbre et la forêt. La photographie est signée Matthieu Poirot-Delpech, qui a travaillé sur tous les films du duo Ducastel-Martineau.


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Alors que Jeanne et le garçon formidable était un modèle de légèreté sur un sujet on ne peut plus grave, la mort par le sida, cette fois encore comme dans Nés en 68, Ducastel et Martineau n'ont pas su faire taire les militants qui sommeillent, jamais profondément, en eux. Le sujet de L'Arbre et la forêt est assez fort, il pouvait se passer d'une poussée d'activisme et de didactisme qui ne fait qu'alourdir le propos.

La force de L'Arbre et la forêt est qu'il parvient à évoquer la déportation comme dans Shoah  de Claude Lanzmann sans aucune image de reconstitution, mais uniquement par le biais de la parole de Frédérick. Jacques Martineau s’'explique sur ce choix : « Le film a toujours reposé sur ce principe. Il était clair pour nous qu'il n'y aurait aucun flashback ni de reconstitution historique, nous avons toujours été dans le témoignage présent ou plutôt dans le non témoignage. En insistant sur un seul témoignage intime, nous soulignions que la déportation pour raison d'homosexualité pendant la guerre n'avait jamais été clairement évoquée. On est face à un mur de silence sur le sujet. Le film n'est pas là pour mettre le public face à ce fait historique, pas pour ouvrir une page d'Histoire mais pour se poser la question de la raison de ce silence pesant. Nous abordons cela en observant le comportement d'une famille en particulier. Il y a évidemment des facteurs historiques à ce silence mais surtout des facteurs sociaux. Cette page historique s'ouvre par l'entremise du secret familial. Nous avons en effet mis un peu plus longtemps à développer ce projet, mais ce long développement nous a permis de nous concentrer davantage sur le domaine de l'intime, du cercle familial. »


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Le projet de Ducastel et Martineau de faire un film sur la déportation homosexuelle, thème qui apparaît fugitivement à la fin de leur précédent film, était ancien. Olivier Ducastel raconte la genèse de L'Arbre et la forêt : « Il y a eu deux facteurs qui expliquent le délai qu'il a fallu pour que le film voit le jour. Le premier était le sujet même du film, un sujet délicat qui s'est imposé à nous dès que Crustacés et coquillages fut terminé. On avait eu une première mouture du scénario assez rapidement mais le projet a mis du temps à évoluer et a connu différents producteurs. Le second facteur est arrivé lorsque le film était en production, prêt à tourner. Au même moment, deux producteurs nous ont demandés de reprendre un projet au pied levé pour la chaîne Arte, une fiction en deux parties sur laquelle ils étaient en développement depuis très longtemps. La réalisatrice pressentie venait de jeter l'éponge. Ce projet, c'était Nés en 68. En se concertant avec Philippe Santos, le producteur de L'Arbre et la forêt, il nous a dit que ce n'était pas possible de décliner une telle offre de double fiction. Cela nous permettait aussi d'avoir plus de temps pour affiner le montage financier du film. »

Ducastel et Martineau se sont inspirés pour écrire leur scénario du témoignage de Pierre Seel, seul triangle rose français à avoir parlé de sa déportation en tant qu'homosexuel.

Le film a été sélectionné au Festival de Berlin 2010 et a reçu le Prix Jean Vigo en 2009. Il bénéficie d'une superbe affiche signée Pierre Le Tan.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult, Matthew Goode, Jon Kortajarena, Paulette Lamori, Ryan Simpkins, Ginnifer Goodwin, Teddy Sears et Paul Butler. Réalisation : Tom Ford. Scénario : David Scearce et Tom Ford, d'après le livre de Christopher Isherwood. Image : Eduard Grau. Montage : Joan Sobel. Compositeur : Abel Korzeniowski et Shigeru Umebayashi.

Durée : 100 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

 

 

Résumé :

Los Angeles, 1962. Depuis qu’il a perdu son compagnon Jim dans un accident, George Falconer, professeur d’université Britannique, se sent incapable d’envisager l’avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie la belle Charley, elle-même confrontée à ses propres interrogations sur son futur, George ne peut imaginer qu’une série d’évènements vont l’amener à décider qu’il y a peut-être une vie après Jim.


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L’avis de Frédéric Mignard :

Le styliste Tom Ford devient réalisateur. Le résultat est un drame personnel virtuose, avec Colin Firth et Julianne Moore.


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Adaptation sans modestie du roman de Christopher Irshwood, Un homme au singulier, A single man est un film de styliste, celui de Tom Ford, célèbre pour son travail novateur au sein du groupe Gucci. Le couturier playboy signe ici sa première œuvre en tant que réalisateur. Avec un regard privilégiant le papier glacé, il pare son essai d’une photographie exceptionnelle, entre jeu de couleurs, reflets subtils et poses avantageuses. Il habille son récit de quelques gueules dignes de couvertures de magazine, notamment dans les seconds rôles, et situe son action dans quelques prestigieux pavillons américains qui ne déplairaient pas à Franck Lloyd Wright. Jusqu’aux vêtements, conçus par la styliste de Madonna, Arianne Philips, tout est d’une beauté fulgurante, d’une classe décadente à l’imagerie hallucinée.


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Tous ces éléments de l’artifice auraient pu considérablement desservir le travail de Tom Ford. Pourtant, au-delà d’une simple extension de son univers personnel, sa démarche artistique se justifie peu à peu. Attisant une émotion qui se noue à la gorge, elle creuse les artères de la dépression. Cette dernière s’exprime à travers le sentiment de solitude accablant d’un professeur d’université érudit, depuis la mort de son compagnon.


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L’homosexuel vieillissant dans une Amérique puritaine, à peine anobli aux yeux de la société par son statut de prestige, a perdu le goût de l’amour et de la vie. La perte de sa moitié, magnifiquement recomposée de manière onirique en début de métrage, est systématiquement contrastée par le monde qui l’entoure. À cette perte de la passion, s’appose celle de la jeunesse, de son entrain d’autrefois, ce qui entame considérablement son désir de survie et le mène à la préparation minutieuse de son propre suicide.


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Décrivant un monde qui se régénère automatiquement en beauté, où le moche, comme la mort, est socialement oublié par tous (sauf par l’amant esseulé et les autres post quadras qui vivent dans l’ombre), où la jeunesse, à la fraicheur insolente d’une éternelle publicité, reprend systématiquement le dessus, attisant les désirs, les frustrations, la mélancolie et les regrets de ceux qui ont dépassé cette étape, Tom Ford esquisse un univers cruel, s’intéressant surtout aux parias ou has-been de cette société d’apparat.


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À côté du personnage littéraire de George Falconer en route pour la mort, incarné par l’impérial Colin Firth (prix d’interprétation à Venise et nominé à l’Oscar pour ce rôle), l’on trouve sa voisine et meilleure amie depuis des décennies, jouée par Julianne Moore, tout aussi impressionnante. Ancienne beauté royale, abîmée par les aléas de son existence et l’alcool, cette femme pathétique, en quête d’une nouvelle dignité, qui pourtant ne cesse de se fourvoyer toujours un peu plus, est dévorée par sa propre solitude. Le temps d’une soirée, les deux êtres se rapprochent et se désirent devant la caméra de Tom Ford. Lui a décidé de cesser le combat quand elle essaie vainement de s’accrocher à quelques espoirs en revenant davantage au passé qu’au futur (elle essaie notamment de raviver la flamme qu’elle a pu faire briller en lui un soir de leur jeunesse).


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Heureusement, dans ce sentiment de dépression généralisée, où l’homme pense ne plus pouvoir aimer ou être aimé, quelques moments colorés viennent le ramener progressivement à la vie. Des rencontres imprévues, un échange avec l’un de ses étudiants qui s’élève, fort heureusement, bien au-delà de l’académisme du Cercle des poètes disparus... Le réalisateur, dont on sent l’implication personnelle dans le cheminement psychologique du personnage principal, réserve de sublimes moments de cinéma, notamment dans les décors (une scène en technicolor avec en fond une toile gigantesque de Hitchcock). Son sens mélangé de l’habillage de l’image et de la dramatisation intimiste nourrit des instants d’émotions intenses. Le créateur de mode prouve ainsi que la beauté peut générer au cinéma autre chose que l’ennui poli face à des archétypes a priori superficiels.


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À l’instar d’un Wong Kar Wai pour In the mood for love (dont on retrouve le compositeur, Shigeru Umebayashi, au générique), Ford transcende l’univers clinquant de son propre microcosme professionnel pour s’insinuer au plus près de la douleur humaine, celle, universelle, de la prise de conscience de sa propre mortalité. Peut-on en ressortir autrement que bouleversé ?


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L’avis de Voisin blogueur :

Conditions de visionnage : vu en projection presse. Ce qui m’a poussé à bien me tenir et à ne pas gémir à la vision du défilé de beaux mecs qui se présentait à l’écran.


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Los Angeles, 1962. George (Colin Firth), professeur d’université britannique, doit faire face à un terrible drame : son compagnon Jim (Matthew Goode) a trouvé la mort dans un accident de voiture. Après seize années de bonheur passées ensemble, George redevient un homme célibataire, foudroyé par le chagrin et la solitude. Son amie Charlotte (Julianne Moore, parfaite en fille à pédés, glamour et désillusionnée) a beau être là pour lui, il ne voit plus la vie qu’en noir. C’est décidé : il va se suicider. Il organise soigneusement sa dernière journée : il écrit des lettres, dit à sa bonne qu’elle est merveilleuse, range son bureau, achète des balles pour son flingue, va donner son dernier cours à l’université et compte voir sa meilleure amie Charlotte le soir. Mais le hasard va un peu bousculer ses plans et à l’infinie tristesse qui l’habite vont s’opposer des rencontres de hasards, des instants rares…


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On ne nous aurait pas dit que Tom Ford était couturier qu’on l’aurait deviné. A single man sera probablement un des films les plus élégants, les plus soignés de 2010. Photographie léchée à l’extrême, mise en scène sensuelle et qui abuse des ralentis, garde robe à se damner : le réalisateur apporte un soin tout particulier à chacun de ses plans, semble en constante recherche de beauté. Le résultat est bluffant, nous donne la sensation de déambuler dans un étrange rêve où à tous les coins de rue un beau mec, tout droit sorti d’une couverture de Vogue, pourrait nous demander une cigarette. Défunt compagnon aux allures de gendre idéal, jeune étudiant minet supra méché et imberbe, latino bad boy : le moins qu’on puisse dire, c’est que George plait à de très beaux garçons. Tom Ford les filme avec envie, sans complexes. Et on a ainsi l’impression d’assister à l’éloge de la beauté masculine. Même Colin Firth a le torse imberbe, ferme, saillant : rien, non rien de rien n’est laissé au hasard. Avis aux garçons sensibles et aux filles : A single man est LA grande occasion de se rincer l’œil au ciné.


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Alors oui, tout est magnifique au point que ça en devient surréaliste. Et Tom Ford ne craint pas de tomber dans le piège de la pose, il s’y engouffre avec jubilation. Cela pourra donner un côté artificiel voire superficiel au projet. Des premiers aux seconds rôles, tout le monde semble sorti d’un défilé de mode et évolue dans des décors de rêve. A single man pourra alors agacer, pouvant apparaitre comme snob ou prétentieux (tout est extrêmement premier degré et la bande originale raffinée mais très appuyée vient enfoncer le clou). En tout cas, force est de constater que pour un premier long, le cinéaste témoigne d’une maitrise tout bonnement hallucinante. Et quand on gratte un peu le très épais vernis, on trouve bel et bien des émotions, une sensibilité, un regard.


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George a beau vivre dans un monde de toute beauté, de perfection, il a perdu celui qu’il aimait et ne s’en remet pas. Tout le film est un cheminement vers la mort, on baigne dans une ambiance singulière, où tout est sensuel, où tout tourne au ralenti, où des détails anodins deviennent soudainement des apparitions qui pourraient bien être les dernières images d’une vie. C’est un voyage cinématographique très plaisant qui nous est proposé, malgré la beauté un peu glacée de l’ensemble. Un peu de modestie ne ferait sans doute pas de mal à Tom Ford mais après tout, quand on est doué comme lui, pourquoi se priver de le montrer ?

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida, Chris Zylka, Kelly Lynch, Haley Bennett, James Duval, Jason Olive, Andy Fischer-Price et Brandy Futch. Réalisation : Gregg Araki. Scénario : Gregg Araki. Directeur de la photographie : Sandra Valde-Hansen. Compositeurs : Vivek Maddala, Mark Peters, Ulrich Schnauss et Robin Guthrie.

Durée : 86 mn. Sortie en salles le 6 octobre. 

 

 

Résumé :

Smith mène une vie tranquille sur le campus ‒ il traîne avec sa meilleure amie, l’insolente Stella, couche avec la belle London, tout en désirant Thor, son sublime colocataire, un surfeur un peu simplet ‒ jusqu’à une nuit terrifiante où tout va basculer.


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Sous l’effet de space cookies ingérés à une fête, Smith est persuadé d’avoir assisté à l’horrible meurtre de la Fille Rousse énigmatique qui hante ses rêves. En cherchant la vérité, il s’enfonce dans un mystère de plus en plus profond qui changera non seulement sa vie à jamais, mais aussi le sort de l’humanité.

 

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L’avis de Frédéric Mignard : 

Araki revient à ses comédies nihilistes des années 90 et déploie une tension érotique et dramatique qui fait mouche à chaque fois. Bref, le gros fantasme de la rentrée !

Malgré une reconnaissance artistique très tardive (les critiques ont commencé à s’intéresser à lui avec le magnifique Mysterious Skin en 2005, Gregg Araki persiste et signe dans le genre de la comédie adolescente métrosexuelle trash qui l’avait fait connaître dans les années 90 (Doom generation ; Nowhere). Sans chercher même un instant à s’approcher de l’excellence émotionnelle et dramatique de Mysterious Skin, il s’adonne à ce qu’il kiffe le plus. Déshabiller des jeunes comédiens de tous sexes dans un environnement pop acidulé sur des dialogues cultes et des ressorts narratifs comico-absurdes et nihilistes !

 

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Bref, l’esprit, dans la construction d’une carrière homogène et singulière, est celui de ses films d’antan : dans la radicalité, sans aucune ambition grand public. Araki préfère déglinguer toutes les règles du bon sens et excelle à lever le majeur à tous les parangons du bon goût (il remercie John Waters dans les crédits, ce n’est pas un hasard). Après tout, son film se veut être une apologie du chaos qui mène à un kaboom final, en français un gros boum ou un mémorable big bang !

 

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S’il faut que jeunesse se passe, celle d’Araki, elle, demeure. Il aime donc toujours filmer la sensualité juvénile, créer une tension sexuelle irrésistible. Le point névralgique de cette chronique d’une fin du monde annoncée par un rêve, est sans surprise un campus où les jeunes s’adonnent aux joies du sexe désinhibé et à la dope sans se prendre la tête sur les conséquences morales ou mêmes seulement mentales de leurs actes. Étudiants, les protagonistes sont pour une fois un peu moins socialement paumés que dans ses précédents opus. Thomas Dekker, vu dans Heroes ou Terminator : les chroniques de Sarah Connor, est le héros central de ces baisouilles à deux, trois, entre filles ou entre garçons. Il incarne à lui seul le désir dans un enchevêtrement de fantasmes qui manipulent sans cesse les spectateurs. L’onirisme éveillé, l’imaginaire de branlette et les cauchemars lynchiens se mélangent à la trame principale, brouillant toujours plus les pistes du linéaire.


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Dans ce sens, le cinéaste assimile les différents genres que les ados adorent. Il insère une scène de concert rock extatique ou des séquences de thriller fantastique pour certaines carrément angoissantes, et multiplie les romances de teen comédies sur le campus qu’il détourne par des dialogues érotico-sulfureux, mais jamais gras. Certes, ici l’ado bourrée vomit sur les pompes du bellâtre dans les toilettes d’une boîte, mais on n’est jamais dans la scatologie grasse d’un American Pie.


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Dans ce joyeux bordel où l’on croise des sorcières, de mystérieux assassins portant des masques d’animaux, un gourou déguisé en Jules César, un colocataire surfeur du nom de Thor qui essaie l’autofellation, Kaboom amuse. Il fascine et éblouit aussi par son intrinsèque beauté. Mais, vers la fin, quand le désordre est définitivement établi, il perd volontairement de son pouvoir de séduction pour devenir le plus gros n’importe quoi cinématographique de l’année. Et on se dit qu’il est quand même dommage que l’aboutissement ne soit juste qu’amusant. Car si on aime énormément cet aspect de la carrière d’Araki, on lui préfère quand même ses zones d’ombre.

Après Cannes en mai dernier, le film sera présenté à Deauville au début du mois de septembre.


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L’avis de Voisin blogueur :

À l’approche de ses 19 ans, Smith (Thomas Dekker) fait un étrange rêve. Il y traverse un couloir et croise le chemin de deux filles inconnues avant d’arriver jusqu'à une mystérieuse porte… Réveillé, le jeune homme finit par rencontrer dans « la vraie vie » les deux énigmatiques jeunes femmes. L’une s’appelle Lorelei (Roxane Mesquida) et s’avère être la nouvelle girlfriend de la meilleure amie de Smith, la piquante Stella (Haley Bennett) ; l’autre finit par disparaître et Smith pense assister à son enlèvement ou meurtre (il n’est sûr de rien car il était totalement défoncé). Que se passe-t-il donc sur le campus ? Les incidents bizarres se succèdent et Smith commence à croire qu’il est au cœur d’une véritable conspiration… En attendant, il tue le temps avec des préoccupations bien de son jeune âge : il fantasme sur son coloc hétéro surfeur décérébré ; Thor, est sur une piste romantique avec un jeune étudiant gay ; couche avec une fille à pédés (la délicieusement paumée London interprétée par Juno Temple). Sauteries et énigmes… Kaboom ?


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Présenté en séance spéciale à Cannes 2010 (où il reçut la toute première « Queer Palm »), Kaboom était particulièrement attendu par les fans de Gregg Araki. Avec son pitch faisant la part belle à une jeunesse sexuellement libérée et défoncée, les amateurs étaient en droit de s’attendre à un retour du réalisateur, digne de ses premiers films rock’n roll, The Doom Generation ou Nowhere (pour ne citer qu’eux). Si on trouvera bien des correspondances, des ressemblances, force est de constater que Kaboom est aussi mainstream que The Doom generation était underground. Ici, exit la jeunesse sexy et sauvage et bonjour la jeunesse des années 2000 : jeunesse méchée, lisse, toujours habillée à la dernière tendance. Plus pop que rock, Kaboom se regarde avec envie, comme une irrésistible sucrerie. Tout le monde y est beau et rigolo, la musique est branchée puis populaire, on parle beaucoup de sexe mais on en montre peu…

 

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Nul doute que Kaboom paraitra comme une « comédie sous acide » pour ceux qui n’ont jamais vu une des précédentes œuvres de son auteur. Mais pour ceux qui le suivent depuis ses débuts, ce divertissement savamment dosé apparaîtra comme un peu trop sage. Et si on s’éclate pendant sa vision, si on ne peut s’empêcher d’exploser de rire face à certaines répliques qui ont tout pour être cultes, pas certain que l’œuvre dans son ensemble le deviendra. Pour autant, faut-il faire la fine bouche ? Non, certainement pas. Car le film reste un pur concentré de fun et on retrouve bien la « patte Araki » à partir de la seconde moitié du métrage, celle où tout part doucement en vrille, où le campus aseptisé devient le terrain de jeu d’un vrai film de défoncé, riche en second degré, en situations absurdes et en rebondissements aussi improbables que jouissifs. Mention spéciale à Roxane Mesquida, amusante et sexy, digne héritière de Rose McGowan.

 

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Les personnages sont tous amusants et attachants, le scénario riche en histoires de cœur et de cul dans lesquelles chacun pourra se retrouver et surtout, mine de rien, Gregg Araki livre un portrait maitrisé et décalé sur la peur d’une jeunesse en fuite, logiquement vouée à s’achever tôt ou tard. Sur la mystérieuse porte que Smith voit dans son rêve, il y a un 19. Derrière elle, un bouton qui pourrait déclencher la fin du monde. Le monde adulte, c'est la fin, la mort. En faisant un petit pas dans ce nouveau monde (celui où on ne peut plus passer ses journées à être défoncé ou se branler en pensant à son colloc hétéro), en quittant le rêve pour la réalité et les responsabilités, c’est une page qui se tourne… Le sujet est traité avec tellement de fantaisie que l’on oubliera de ronchonner sur le fait que c’est un Araki un peu mineur pour mieux se réjouir à l’idée que Kaboom permettra à beaucoup de se plonger dans l’univers d’un cinéaste éternellement adolescent.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec François Sagat, Chiara Mastroianni, Dustin Segura-Suarez, Rabah Zahi, Kate Moran, Lahcen El Mazouzi, Andreas Leflamand, Ronald Piwele, Sebastian D’Azeglio et Sébastien Pouderoux. Réalisation : Christophe Honoré. Scénario : Christophe Honoré. Monteuse : Chantal Hymans.

Durée : 72 mn. Sortie en salles le 22 septembre.

 


Résumé :

Entre Gennevilliers et New-York, Omar et Emmanuel ne s’épargnent rien pour apporter à l’autre la preuve qu’ils ne s’aiment plus.

 

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L’avis de Frédéric Mignard : 

Christophe Honoré s’interroge sur le langage du corps au masculin. Entre expérimentation et improvisation, l’exercice personnel déroute.

Emmanuel est un corps aux yeux des autres. Dans ses galères, il en est dépendant, faisant profiter les plus démunis (vieux et malingres) de ses courbes harmonieuses, de ses muscles travaillés individuellement. Son corps ne respire pas le naturel, mais un entretien intensif. Il incarne une forme de virilité. Celle des œuvres d’art, des héros de mythologie ou des dieux qui la peuplaient. Mais aussi celle moins innocente de l’iconographie pornographique qui le rend un peu vulgaire, notamment aux yeux d’un quinquagénaire qui monnaie ses apparitions dénudées sans être dupe de ce qui se cache derrière la marchandise.

Dans le rôle sexué d’Emmanuel, Christophe Honoré a casté un hardeur gay, François Sagat, qui compose pour la première fois et récite des dialogues, même s’il en a peu. Le comédien montre des limites dramatiques, mais c’est sa fragilité qui nourrit un personnage dans le jeu constant. Pour exister hors du ghetto, Emmanuel, sans le sou et sans le verbe, doit exacerber un rôle ‒ celui d’une brute, d’un actif dominateur, d’un fantasme sexuel. Mais avec le risque de lasser et avec la certitude de vieillir et d’être dépassé par d’autres plus jeunes que lui. Au détour d’un regard peu sûr, le comédien manifeste toutes les contradictions de son personnage qui a tout à prouver dans un milieu qui n’est pas le sien. Sagat joue à l’acteur de fiction comme Emmanuel essaie d’incarner le mâle dominant, dissimulant dans ses silences les conflits internes qui le rembrunissent et sa sensibilité exacerbée.

 

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Emmanuel est le personnage central de l’expérimentation sur le corps que mène Christophe Honoré entre Gennevilliers et New-York. Sans budget, mais avec des caméras numériques peu contrariantes, il suit l’homme musclé dans la ville française où vécut le peintre Gustave Caillebotte dont la toile, Homme au bain, a servi d’inspiration au projet. Aux USA, dans un montage parallèle et dans l’improvisation proche du film de vacances, Honoré déambule, caméscope à la main, pour suivre Chiara Mastroianni (visiblement en promo de Non ma fille tu n’iras pas danser) dans le rôle d’une actrice et l’amant estudiantin d’Emmanuel. La première apparaît comme une extra-terrestre amusée dans cette œuvre en quête du langage corporel (aussi bien visuel qu’olfactif). Le second, interprété par Omar Ben Sellem, est un jeune homme en parfaite opposition avec la carrure imposante de Sagat/Emmanuel. Que ce soit physique (il est chétif), culturel (il est cosmopolite et érudit) ‒ et sûrement affective (cherchent-ils tous deux la même chose dans leur couple insolite ?).

Dans son exploration du corps au masculin, le réalisateur de 17 fois cécile Cassard s’égare. Il se livre à une observation strictement personnelle dans laquelle on ressent ses interrogations, son émoustillement et sa fascination. Son approche est crue, comme l’image de sa caméra, mais sans être impudique. Naturelle sans être poseuse. Toutefois le concept très Nouvelle vague, entre improvisation et expérimentation, laisse peu de place aux spectateurs qui risquent bien de se sentir en marge de cet exercice cinématographique voulu comme mineur par son propre auteur.

 

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L’avis de Voisin blogueur :

Emmanuel (François Sagat) et Omar vivent ensemble à Gennevilliers. Un jour, Omar part en voyages et, las du comportement de son petit ami, lui demande de ne plus être là à son retour. Séparation. Pour une fois, Omar compte faire un voyage sans penser à celui qu’il aime, se laisser porter par les évènements et les rencontres. Destination New York, où il va présenter un film en compagnie de son amie et actrice (Chiara Mastroianni). Il y tient une sorte de journal de bord avec sa caméra DV et nous suivons sa rencontre avec un jeune homme (Dustin Segura-Suarez) dont on devine qu’il tombe doucement amoureux. Pendant ce temps, à Gennevilliers, Emmanuel est confronté à une solitude dont il n’avait plus l’habitude. Il traine, couche avec des amis ou des inconnus, revoit une amie comédienne (Kate Moran) et peine à tourner la page…

Homme au bain est une œuvre à part dans la filmographie de Christophe Honoré. À l’origine, une commande, une carte blanche donnée au réalisateur par le Théâtre de Gennevilliers pour un court-métrage. Mais finalement avec tout ce qu’il avait filmé, le cinéaste a transformé le projet en long-métrage. Le titre fait référence à la toile « Homme au bain » de Gustave Caillebotte, où l’on voyait un homme de dos, s’essuyant après un bain. Une activité qui à l’époque (années 1880) paraissait comme efféminée. L’affiche du film est une sorte de détournement de la toile, une image empruntée à une scène à priori banale durant laquelle Emmanuel s’essuie alors que son copain s’apprête à partir. Avant que les choses ne basculent, qu’ils se séparent. Finalement, un des derniers moments d’intimité du couple…

 

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Pourquoi Homme au bain est-il à part ? Déjà pour son dispositif : le film s’articule autour de la séparation entre Emmanuel et Omar. Nous suivons par alternance l’un ou l’autre. D’un côté Emmanuel à Gennevilliers, avec une image, un format « classique ». De l’autre Omar à New York dans un style presque documentaire, tourné en DV. Ces derniers passages pourront paraître un peu décousus, abstraits. Des images prises à la volée, avec la caméra qui tremble, des scènes parfois inaudibles ou saturées… Il n’est pas toujours évident de trouver ses repères, de deviner où le réalisateur veut en venir. Pourquoi tel plan ? Pourquoi telle référence ou citation ? Pas de scénario qui prend par la main le spectateur. Pour apprécier ce qui se présente devant ses yeux, il faudra qu’il se laisse porter.

Nous sommes là devant une œuvre de séparation, de ruptures. Deux personnages éloignés l’un de l’autre, deux villes, deux façons de vivre la fin d’une histoire d’amour, la musique de Two door cinema club qui se coupe net, reprend un peu plus tard mais ne restera qu’une moitié. Christophe Honoré évite les clichés en esthétisant Gennevilliers (redonner à la banlieue au cinéma des couleurs, de la vie) et en désacralisant New York pour en faire un amas de sensations brèves, furieuses. Et contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, ce n’est pas le sculptural Emmanuel qui se remettra le plus vite. Pour ceux qui suivent la carrière du cinéaste, on a l’étrange sensation d’être perdu entre fiction et réalité. Le passage à New York sonne plus vrai que vrai et on croit y retrouver des passages promos de Chiara Mastroianni pour Non ma fille tu n’iras pas danser. Et il y a cette rencontre intense, presque sans mots, avec le jeune Dustin. Soit l’instauration, la création d’une intimité via l’objectif d’une caméra. On a la sensation de tomber nous-mêmes amoureux de ce garçon, de revoir notre propre carnet de bord de voyage. On peut aussi se mettre à la place d’Emmanuel qui ne peut s’empêcher de penser à son compagnon devenu subitement ex, seul à Gennevilliers. Les images de New-York sont alors destructrices, elles font mal. La page se tourne, Omar partage l’intimité d’un autre. La beauté de cette relation « sur la route », en construction, ressemblerait donc également au pire cauchemar d’un amoureux abandonné qui réalise que son ancienne moitié est passée à autre chose.

 

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Alors qu’à New York tout semble aller très vite, à Gennevilliers le temps apparait comme suspendu. Le massifEmmanuel apparaît comme perdu dans le décor. Très belle scène avec un de ses voisins amateur/collectionneur d’art qui le paie de temps en temps pour un strip ou du sexe. Le vieil homme fait remarquer à Emmanuel qu’il ne le désire plus. Il le voit désormais comme un objet planté dans son salon, une sculpture qu’on ne sait pas où placer. François Sagat, acteur porno gay, est une figure imposante et impressionnante. Nu dans la pièce, il ne semble en effet pas trouver sa place. Comment transformer l’icone porno, la bête de sexe, en un garçon comme les autres, amoché par une rupture ? Comment redonner de la vie, une âme, à un corps que nous n’avons vu qu’exploité dans ses fonctions les plus « basiques » ? Le corps de François Sagat envahit l’espace. Mais progressivement il va se fondre dans le décor, il va devenir un garçon comme les autres auquel on s’identifiera, dans lequel on se retrouvera. On suit Emmanuel dans ses tentatives pour avancer, oublier. Des étreintes chaudes, des confidences et un moment de légèreté avec l’amie Kate, puis enfin de la complicité avec un jeune garçon avec lequel il ne pensait pourtant avoir rien à partager…

Alors qu’Homme au bain pouvait dans un premier temps paraître un peu fermé, difficile d’accès, on finit par ressentir des choses très fortes, à se laisser gagner par la mélancolie ambiante provoquée par des images divergentes. La vie d’artiste, le quotidien en banlieue, l’amour qui nait ou qui se meurt, le mystère de l’intimité, des musiques qui enferment ou libèrent, des corps qui se révèlent et des silhouettes qui disparaissent… Christophe Honoré nous fait voyager à travers son histoire, à travers nous-mêmes. Et du fauteuil de cinéma à l’écran se tisse une complicité.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Doug Cooeyate, Nyla McCarthy, Ray Monge, Robert Lee Pitchlynn et Tim Streeter. Réalisation : Gus Van Sant. Scénario : Gus Van Sant, d’après le roman éponyme de Walt Curtis (ed Hachette littérature). Image : John J Campbell. Montage : Gus Van Sant. Musique : Peter Daamaan, Karen Kitchen, Creighton Lindasy.
Durée : 78 mn. Disponible en VO et VOST.

 


Résumé :
Chronique d’un amour impossible entre Walt (Tim Streeter), un jeune épicier blanc, et Johnny (Doug Cooeyate), un immigré mexicain qui vient de débarquer à Portland, Oregon. Johnny se refuse à Walt. Il préfère coucher avec Pepper (Ray Monge), le meilleur ami de Walt. Ce dernier voyant qu’il n’arrivera pas à ses fins tente de se faire de Johnny un ami et couche avec Pepper.



L’avis de
Bernard Alapetite :
Avant toutes choses, il me semble qu’un préambule s’impose. Il faut bien être conscient que si ce film n’était pas signé Gus Van Sant, il ne serait jamais arrivé sur nos écrans et ceci toutes considérations sur sa qualité mises à part. Il ne nous parvient guère, parmi la très nombreuse production américaine dite « indépendante » (il y aurait beaucoup à dire sur ce qualificatif), que les films ayant reçu l’onction du festival de Deauville (Little Miss Sunshine, L.I.E....) ou/et de celui de Sundance (Boys don’t cry); ou encore plus rarement ceux, ayant comme vedette, une personnalité étant soudainement parvenue à la notoriété : le cas de Transamerica est exemplaire. Le parcours de Mala noche est donc tout à fait singulier. Précisons qu’il est sorti dans d’autres pays bien avant la France : USA, Allemagne, Hollande... parfois sous le titre Bad night.


Si le critique se doit de donner à ses lecteurs les éléments (s’il les possède) qui ont conduit à l’élaboration du film et, si possible, situer l’œuvre dans la continuité de l’histoire du cinéma et dans celle du cinéaste, il doit s’abstraire de toutes ces connaissances pour délivrer son opinion sur le film en tant que tel. Il ne doit plus alors que se souvenir de son plaisir et tenter de le faire partager à ses lecteurs. Son plaisir étant bien sûr dépendant de son background et de sa personnalité. Après ces banalités, venons-en à Mala noche dont l’arrivée tardive sur nos écrans est précédée d’un tintamarre parisianiste sans commune mesure avec l’objet qu’il annonce.
Mala noche, premier film de Gus Van Sant est l’adaptation du livre éponyme et autobiographique de Walt Curtis.


Walt Curtis, aujourd’hui âgé de 65 ans, est une figure de Portland. Acteur occasionnel, il est surtout un auteur reconnu qui a publié plusieurs recueils de poèmes. Il est aussi l’un des traducteurs en américain de Pablo Neruda et de Frederico Garcia Lorca. Mala Noche est son unique roman. Lorsqu’il parait aux USA en 1977, Allen Ginsberg écrit : « Mala Noche, de Walt Curtis, est le récit cru des amours et des chagrins glanés au hasard des rues [...]. La vie est décevante, les gamins tragiques, il y a des moments de joie et de jouissance dans des sacs de couchage souillés, et des moments d'amertume quand les flics de l'Immigration interrompent les relations intimes nouées sur la route. Ceux qui n'ont pas un amour pour la vie y reconnaîtront leurs espoirs et leurs déchirements. »
Contrairement à son style habituel, pour cette adaptation Gus Van Sant ne fait pas de longs plans séquences comme dans le génial Gerry ou dans le creux et soporifique Last Days mais découpe à l’extrême son film en une multitude de plans très courts et peu éclairés, tournés en 16 mm dans un noir et blanc granuleux. Le cinéaste use et abuse des scènes nocturnes. Il filme principalement en gros plans avec une profondeur de champ réduite.


Le réalisateur a déjà 33 ans en 1985 lorsqu’il réalise ce premier opus. Curieusement, plutôt qu’un désir pour ses personnages, il y a peu d’images sensuelles alors que l’on est souvent au plus près de la peau des acteurs, c’est plus une complicité qui apparaît. Comme si le cinéaste était l’un de ces marginaux qui peupleront également ses deux films suivants, Drugstore cow-boy et My own private Idaho. Pourtant à l’époque, il travaille dans la publicité à New York, bien loin de cette faune de Portland où il retournera pour tourner le film uniquement en décors naturels.
Gus Van Sant autofinance son projet, le dotant d’un budget minuscule (22 500 $).
Les acteurs ne sont pas des professionnels et n’ont aucune expérience du jeu, à l’exception de Tim Streeter, l’interprète de Walt, un comédien que le réalisateur a repéré sur la scène d’un petit théâtre local. Ray, qui joue Pepper, était un boxeur ; quant à Doug Cooeyate , Johnny, il était chômeur et pas du tout mexicain mais un vrai indien d’Amérique. Aucun par la suite ne fera une carrière d’acteur, mais on peut les apercevoir dans d’autres films du cinéaste. La fidélité, comme on le voit, n’est pas un vain mot pour Gus Van Sant qui reprendra John J. Campbell, le chef opérateur de Mala noche pour My own private Idaho.

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Dans sa note d’intention, Gus Van Sant nous présente son film comme un film crypto politique : « Mala Noche  contient de rigoureuses observations sur la relation des États-Unis avec son voisin du Sud. L’exploitation constituant le thème central, il en résulte une perspective qui découvre aussi bien le mode d’existence de l’immigré en situation irrégulière dans la ville de Portland que les rapports de fascination de Walt avec Pepper et Johnny. Américain privilégié, Walt se trouve dans une position de pouvoir parce qu’il tient une épicerie. Il est à la caisse et compte l’argent. Il peut donner des sandwichs ou faire payer le prix fort. » Comme souvent au cinéma, il y a loin de l’intention à la réalisation. Aujourd’hui ce que nous voyons sur l’écran c’est un pauvre type, plus dirigé par sa bite que par sa conscience politique, chouchouter deux petits voyous machos qui le méprisent et pour lesquels il est prêt à faire toutes les bassesses contre un vague instant de promiscuité sensuelle.


Rares sont les scénarios américains immédiatement transposables dans nos radieuses cités mais quand on voit le maternage nourrit de frustrations sexuelles, de masochisme et d’expiation inconsciente de la culpabilité qu’il éprouve devant ces jeunes mexicains, population systématiquement exploitée, on pense immédiatement à ces benêts qui se pâment aux pieds de lascars qui n’ont au mieux que mépris pour eux et au pire une haine bien recuite.
Si l’on excepte les films fait pour des majors hollywoodiennes, tous les films de Gus Van Sant mettent en scène des jeunes gens perdus (parfois au sens propre comme dans Gerry) dans la société moderne. On trouve déjà dans ce premier film tout l’univers qu’il développera dans les suivants : solitude moderne, individus en marge, amours impossibles, coup de foudre... jusqu’à son tic de réalisation, le sempiternel accéléré des nuages.


J’affirme haut et fort que Gus Van Sant est un des nombreux cinéastes surévalués dans notre pays. Pourtant sa carrière atypique est passionnante, ceci explique peut-être cela. Elle commence d’une manière classique par ce petit film indépendant, objet de la présente critique, suivi par d’autres, un peu plus professionnels qui lui permettront d’obtenir son ticket pour Hollywood pour lequel il fera plusieurs films plus sages mais réussis avec un bon savoir-faire, le plus émouvant étant Will Hunting et le plus caustique Prête à tout. Jusque là rien que de très classique dans la carrière d’un cinéaste. Et soudain, il tourne le dos à ce cinéma classique pour réaliser un des films les plus conceptuels de l’histoire du cinéma, un remake du Psychose d’Hitchcock plan par plan mais cette fois en couleur ! Je conseille de faire l’expérience suivante : Prenez deux portables identiques, mettez-les l’un à côté de l’autre, le premier jouxtant le deuxième, enfournez dans l’un le film d’Hitchcock et dans l’autre celui de Gus Van Sant, faites démarrer les deux films en même temps et regardez-les. Le jeu consiste à remarquer les différences. Le jeu des sept erreurs de notre enfance revisité par l’art contemporain très chic et tout de même un peu vain...


Puis le cinéaste réalise sa trilogie composée de Gerry (dvd ed. MK2), à ce jour son chef-d’œuvre, d’Elephant (dvd ed. MK2), qui lui vaudra la notoriété internationale, et du très surestimé dans notre contrée, Last days (dvd ed. MK2 ). On attend la suite avec curiosité.
Notre metteur en scène déclare que durant l’écriture et le tournage de Mala noche, il a eu trois films dans la tête : Le Troisième homme, Midnight cowboy et Le Dernier tango à Paris. Influences totalement indiscernables lorsqu’on voit le film. Le seul cinéaste auquel on pense c’est Casavetes, plus pour les processus techniques que pour l’image proprement dite. Mais dans les meilleurs moments du film, quelques très beaux plans émergent de ce brouillard charbonneux, c’est surtout aux photos des premiers livres (mais pas aux films) de Larry Clark que l’on songe.
Mala noche fait partie de ces films, hélas de plus en plus nombreux, qui nous poussent à nous demander ce qui nous a pris de nous enfermer, ici 1h18mn, ce qui parait fort long, avec de pareils imbéciles alors que dans la vie de tous les jours nous n’aurions de cesse que de les fuir à toutes jambes si par malheur on avait eu la déveine de les croiser. Par solidarité homosexuelle, on n’est pas obligé d’approuver un ectoplasme uniquement mené par sa libido envers deux bas du front, certes dans leur genre pas complètement moches.
Toutefois, ce film ne peut pas laisser indifférent toutes personnes ayant vécu une passion impossible et qui aura le malaise de se reconnaître quelque peu en Walt.

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L’avis de Niklas :
À Portland, Walt un homosexuel affirmé tombe amoureux de Johnny, un jeune mexicain clandestin. Le garçon n'a pas 18 ans et ne parle pas un mot d'anglais mais devient une véritable obsession pour Walt qui tente par tous les moyens de coucher avec le jeune étranger...
Pour un garçon par Gus Van Sant.
Même si je ne suis pas un client de son réseau de distribution, il faut reconnaître à Marin Karmitz son talent de producteur et du coup sa bonne idée de nous ressortir le premier film de Van Sant (car ça doit bien venir de lui cette histoire). Le réalisateur américain, qui après avoir fait des petits films indépendants comme celui-ci, a réussi son passage hollywoodien avec d'autres tel que Will Hunting avant de revenir sur le circuit plus proche de ses débuts, compte parmi ceux dont j'aime suivre le parcours et donc quand son tout premier film, inédit chez nous, sort enfin sur nos écrans je m'y jette à corps perdu (alors que, je suis sûr qu'il préférerait que je me jette sur lui). Même s'il me faut pour cela, traverser la capitale puisque UGC n'a trouvé que ce moyen pour que je mette quelques fois les pieds dans son complexe de la Défense. Cela dit, pour ce qui est de la filmographie de Gus, mon préféré reste Elephant, avec ses plans séquences magistraux, mais je n'ai jamais vu Drugstore Cowboy, et je persiste à dire que son “Marais" est l'une des plus grosse daube du collectif Paris Je t'aime...


Autant dire que cette Mala noche ressemble beaucoup, dans sa forme du moins, aux premiers films de Van Sant (notamment My Own private Idaho) et devrait combler les amateurs avec son noir et blanc où se révèle une sensualité rare. Les corps des garçons (je ne vous dis pas lesquels, un peu de suspens voyons !) qui pratiquent une partie de jambe en l'air quelque peu troublante sont filmés avec grâce et les différents plans laissent transparaître l'audace et la liberté que le manque de moyens n'affecte aucunement. Bien au contraire, le réalisateur use au mieux de sa caméra pour nous insuffler l'énergie et l'obsession de son personnage principal.
D'ailleurs, celui-ci n'a malheureusement pas fait d'autre films, ce qui est bien dommage parce qu'il est sacrément sexy, quelques petites poignées d'amour certes, mais j'en connais qui s'en contenteraient bien.
Pour en revenir au film, je suis sorti de la salle assez troublé par cette relation qui n'en n'est pas vraiment une, entre un garçon prêt à tout pour une simple nuit d'amour avec un type qui n'en a que foutre de lui, et qui n'est même pas homo. Il y a dans ce rapport un profond malaise et un décalage que le réalisateur parvient à retranscrire et qui est plus que déconcertant, dans le regard admiratif de Walt qui accepte le dédain, de celui de Johnny avec une certaine philosophie, c'est beau et en même temps assez interrogateur pour finir par laisser place au désarroi dans lequel l'Américain se trouve face au Mexicain.


L’avis de
Shangols :
Bon, ben voilà, la curiosité du moment a été vue par un des rédacteurs de ce blog. Mala Noche est sympa, c'est exactement la même émotion (et presque le même film) que pour The Big Shave de Scorsese, Permanent Vacation de Jarmusch, Eraserhead de Lynch ou encore Icarus de De Palma... bref comme tous ces premiers films de grands réalisateurs, on regarde ça avec l'œil compatissant du spectateur qui sait ce qu'ils vont devenir.

Comme tout le monde, Van Sant produit un film très « arty », où le style se veut voyant, un film volontaire et « extraverti » qui fait merveille. Au niveau de l'image, c'est pratiquement irregardable : le noir et blanc, cradasse, sans contrastes, a pour résultat d'effacer les 3/4 de l'écran. Les bords de l'image sont en noir complet, et on distingue au centre de l'écran des formes, floues, heurtées, mobiles, dans lesquelles on reconnaît vaguement les personnages, les actions. Ca, c'est pour les scènes de nuit. Les scènes de jour sont elles assez nettes, baignées de soleil. À noter que les sous-titres, également, sont illisibles, puisque présentés en blanc sur blanc. Tout ça pourrait être gavant, mais je vous l'ai dit, on est bienveillant, et c'est juste délicieusement fashion, et mignonettement audacieux.


Niveau scénario, ça sent le Van Sant de très loin : il s'agit des errances amoureuses d'un jeune mec (très beau et très émouvant Tim Streeter) qui tombe raide dingue d'un tout jeune mexicain indolent, sauvageon et irresponsable, un de ces types qui file des insomnies à Sarko. C'est surtout un joli essai sur l'amour tout court, sur l'aveuglement, la perte de la personnalité et l'humiliation amoureuse. Dans un rythme très saccadé, Van Sant filme les corps qui se choquent (ou ne se rencontrent pas, le plus souvent, Van Sant est aussi un type qui filme la frustration), les petites combines, les bagarres hilares de gosses des rues, et puis aussi la petite vie des Américains moyens (qui achètent tous, à un moment ou à un autre, allez savoir pourquoi, de la crème anti-champignons). Il y a de magnifiques scènes, qui prennent bien leur temps pour s'installer (notamment la longue séquence où le Mexicain s'amuse à faire croire à Walt qu'il l'abandonne sur la route), il y a une compréhension du désir sexuel qui est déjà bien en place, il y a cette fameuse fascination pour les ados qui marquera le cinéma de Van Sant dans son ensemble, il y a une musique à la Paris Texas qui est parfaite. Bref, c'est déjà du très bon cinéma, sans hurler au génie. Et puis la fin (qui a rendu folle furieuse ma voisine de droite) est poilante, puisque le gars arrête son film en plein milieu ("zou rentrez chez vous j'ai plus d'argent pour terminer"). Toute une époque.
Pour plus d’informations :
 

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Fiche technique :

Avec Robert McLane, Curt Gareth, Bo White, Jay Pierce, Anthony McKay, Marilyn Meyers, Barnaby Rudge, A. Bailey Chapin, Scott Eisman, Michael Kell, Sheila Rock, Linda Weitz, Robert Grillo, Howard Blakey et George Diaz. Réalisation : Christopher Larkin. Scénario : Joseph Coencas.

Durée : 86 mn. Disponible en VO et VOSTfr.



 

Résumé :

New York années 70. David (Robert McLane), un ancien séminariste, vit une relation figée dans le moule hétérosexuel avec un jeune cadre, Mark (Curt Gareth). L'échec de ce couple amène David à vivre l'expérience des gays de New York : saunas, partouzes, bref la consommation du sexe prônée à cette époque de libération sexuelle. Le jour de la marche des fiertés, David rencontre un beau militant gay très actif, Jason... Tous deux décident de tenter un autre mode de vie, qui exclurait le couple fermé du modèle hétérosexuel et la frénésie consumériste de la libération sexuelle...


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L’avis de Voisin blogueur :

David (Robert McLane) quitte son monastère pour devenir professeur dans un lycée public… et surtout tenter d’assumer enfin son homosexualité. Un soir dans un bar gay, il craque sur un inconnu qui semble également le trouver à son goût. Il s’appelle Mark (Curt Gareth), il l’invite à danser et ils finissent par passer la nuit ensemble. Mark est un homme d’affaires qui n’a jamais connu de vraie histoire d’amour avec un garçon. David non plus. Assumer son homosexualité est quelque chose d’encore récent, nous sommes au début des années 70. Si rapidement David tombe amoureux et rêve d’une relation avec Mark, ce dernier tient à garder sa liberté, a du mal à avouer ses sentiments, à s’engager.


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Les mois passent et les « je t’aime » finissent par arriver. David et Mark emménagent ensemble. La vie de couple ne semble malheureusement pas leur aller à merveille : David n’a pas des envies sexuelles aussi fortes que son compagnon et refuse parfois de coucher avec lui, ce qui le frustre. Mark a pour sa part besoin d’espace, refuse tout le temps de tout partager avec son partenaire, de n’exister que par lui. Lassitude du quotidien et petites tromperies vont amener le couple à se briser peu à peu…


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Une chose très naturelle (A very natural thing en VO) commence avec des images de la Gay Pride à New York. Le militantisme gay est en marche, l’affirmation semble enfin possible. Oui, l’homosexualité est une chose très naturelle. Mais pour les gays eux-mêmes, son affirmation est quelque chose de nouveau. Beaucoup découvrent ce qu’est une histoire d’amour entre deux garçons et réalisent que le fonctionnement n’est peut-être pas le même que celui des couples hétérosexuels. Pas de mariage, pas forcément d’enfants (même si l’on voit plusieurs personnages d’hommes fraichement divorcés et pères de famille enfin sortis du placard), un rapport au sexe plus facilité…


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Alors qu’on pouvait s’attendre à une œuvre sur le coming out, sur la difficulté de gérer ses attirances homosexuelles, on est agréablement surpris de voir que le réalisateur filme l’histoire de David et Mark comme justement quelque chose de très naturel. L’homosexualité n’est pas un problème, les problèmes viendront de la relation entre les deux hommes, qui se découvrent au fil du temps et seront bien amenés à comprendre qu’ils ne regardent pas vers la même direction.


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Christopher Larkin sonde le couple gay. Il nous montre de façon parfois presque documentaire comment deux hommes amoureux vivent ensemble, quelles sont les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Les problèmes sont souvent les mêmes que pour les hétéros : sentiment d’étouffement, de manquer d’espace, supporter la mauvaise humeur de l’autre, devoir faire des compromis, un engagement au quotidien... Mais à l’heure du début des 70’s où une certaine liberté sexuelle est de mise, il n’est pas vraiment facile de se caser. Bon nombre de gays s’éclatent dans les saunas, font des partouzes… Si David, le plus romantique, ne ressent pas de frustration, Mark lui est travaillé par son envie de plaire encore, de rester un objet de désir pour les autres. Les disputes (parfaitement mises en scène et bénéficiant d’une écriture d’une rare justesse) se succèdent, l’amour devient affrontement et incompréhension. Nos amoureux essaieront de s’ouvrir aux autres, d’être plus libres ensemble mais David aura bien du mal à envisager que Mark ne soit pas totalement à lui.


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L’intrigue n’est peut-être pas particulièrement novatrice mais le film offre une vision tellement réaliste sur le couple gay dans les années 70 qu’il dépasse le stade de la curiosité pour atteindre le statut de film culte. L’envie d’aimer, la désillusion, l’affirmation de soi au sein d’un couple puis seul… David va avoir droit à son éducation sentimentale, découvrir ce qu’est la vie gay dans le New York des 70’s entre sexe facile et complexité des sentiments. Si Une chose très naturelle met en scène des situations très sensibles voire dramatiques, il reste toujours étrangement lumineux. Tout est filmé avec une énorme délicatesse et il est quasi-impossible de ne pas s’attacher à ces personnages si bien croqués. Des décennies plus tard, les questions abordées continuent de toucher droit au cœur. L’approche de Christopher Larkin est à la fois sensible et frontale, ce long-métrage ne manquant pas de chair (plusieurs scènes de sexe sensuelles ou vraiment troublantes – comme celle où David, célibataire, se laisse aller dans un sauna entre peur, malaise et excitation). Deux hommes peuvent-ils vraiment reproduire le schéma du couple hétérosexuel ? L’homosexualité permet-elle de passer outre les règles de la fidélité sans faire de drames ? La vie à deux n’est-elle pas une prison qui détruit l’amour et qu’il faut prendre soin d’éviter ? Avec beaucoup de tendresse, ce film séduit, captive autant qu’il interroge. Indispensable.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Al Pacino, Karen Allen, Paul Sorvino, Richard Cox, Powers Boothe, Joe Spinell, Ed O’Neill, James Remar, William Russ, Mike Starr, Leo Burmester, Larry Atlas, James Hayden, Steve Inwood et Arnaldo Santana. Réalisation : William Friedkin. Scénario : William Friedkin, d’après l’œuvre de Gerald Walker. Directeur de la photographie : James A. Contner. Monteur ! Bud S. Smith & M. Scott Smith. Compositeur : Jack Nitzsche.
Durée : 100 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

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Résumé :
La police new-yorkaise enquête sur deux meurtres d'homosexuels appartenant à la tendance sado-masochiste, qu'elle pense être dus au même tueur. Le capitaine David Edelson, chargé de l'affaire, propose à un jeune policier en uniforme, Steve Burns - qui possède les caractéristiques physiques des victimes - d'infiltrer la communauté gay. Comme il ambitionne de devenir "enquêteur", Steve, voyant la possibilité d'une rapide promotion, accepte, en dépit du danger qu'il encourt.

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Installé dans un appartement de Greenwich Village, Steve fréquente toutes les nuits les lieux de rendez-vous homosexuels : bars, discothèques, boîtes de nuit, jardins publics.
L'assassin, habillé d'un blouson de cuir à pièces métalliques cliquetantes, porteur d'une casquette de motocycliste et le visage dissimulé derrière des lunettes de soleil, frappe par deux fois encore...

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L’avis d’Olivier Nicklaus :
Al Pacino en insider de la communauté gay à moustache new-yorkaise circa 80. Le flic straight y perd ses repères.

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Voilà le film qui fit hurler la communauté gay américaine à l'homophobie à la fin des années 70. Voyons ça de plus près. L'intrigue ? Un jeune flic (Al Pacino, excellent) se fait passer pour un gay-cuir-SM pour enquêter sur une série de meurtres d'homosexuels dans la scène hard de Greenwich Village. Ce qui frappe d'abord, c'est le réalisme documentaire (une constante dans l'œuvre de Friedkin) sur les rituels homos SM de l'époque : ne manque pas la moindre casquette, la moindre moustache, le moindre cockring... Il faut voir les figurants sniffer du poppers, se fister à qui mieux mieux (hors champ), sans parler de la scène pédagogique sur la couleur de bandana à porter selon son trip (uro, scato, etc)... Et encore ne s'agit-il là que du folklore.

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Concernant la sexualité gay hard proprement dite, on ne peut pas dire que Friedkin se pince le nez. Au contraire, on le sent fasciné, et il nous confirmait lui-même à l'occasion d’une rétrospective à la Cinémathèque qu'il avait dû couper un quart d'heure de scènes de sexe pour éviter le classement X du film. Le scénario a l'intelligence de mettre le spectateur dans les traces du flic straight. Et c'est là que le reproche d'homophobie tombe complètement car ce flic se révèle totalement troublé par ce qu'il découvre, au point de délaisser sa compagne, et de se liver à des jeux SM avec l'un des suspects. Surtout, Friedkin est fidèle à son grand thème, le Mal, et à ses yeux, le mal en question n'est ni l'homosexualité, ni même le sadomasochisme, mais plutôt la pulsion meurtrière. Mais là encore, il ne se pose pas en moraliste. Il montre au contraire toute la force d'attraction de la violence poussée à son paroxysme : l'assassinat.

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L’avis de Marie Bigorie et Benoît Smith :
Dans les années soixante-dix, William Friedkin atteint la consécration commerciale avec deux films majeurs de la décennie : French Connection et L’Exorciste, deux œuvres couvertes d’Oscars. Cinéaste un brin provocateur, grand admirateur d’Henri-Georges Clouzot dont il apprécie la capacité à jouer avec les nerfs du spectateur, c’est précisément avec l’échec public de son remake du Salaire de la peur, Le Convoi de la peur réalisé en 1977, qu’il perd une bonne part de son aura à Hollywood. Peut-être désireux de « se refaire » à la faveur d’un nouveau sujet à haute teneur en soufre, il affute à nouveau son ar(t)me et use de son sens très acéré de la provocation en 1980, en réalisant Cruising (La Chasse), film à l’époque très controversé.

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Le cinéaste éprouve là non seulement la capacité de résistance du spectateur, mais surtout celle de la MPAA, l’équivalent de la Commission de censure aux Etats-Unis. Al Pacino, jeune flic ambitieux au regard trouble, traque un serial killer et plonge dans le milieu des bars « cuirs » de la communauté gay de New York. Amputé, censuré, boycotté par une partie des activistes gays lors du tournage puis à l’occasion de ses multiples sorties, Cruising est aujourd’hui bien plus qu’une simple curiosité : malgré ses défauts, le film contient en lui toutes les obsessions chères au cinéaste.

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Génèse et mise en pièces
Dans un livre d’entretiens accordés à Gilles Boulenger, le cinéaste conte la genèse d’un de ses films les plus contestés, Cruising. À l’origine, ce sont les articles rédigés par l’éditorialiste Arthur Bell dans l’hebdomadaire culturel new-yorkais The Village Voice qui intriguent Friedkin et l’incitent à réaliser un polar ayant pour toile de fond les clubs sado-masochistes de Manhattan. Bell, journaliste et activiste gay, décrit dans ses colonnes l’atmosphère de bars « cuirs » célèbres, lieux underground fréquentés par une partie de la communauté gay de la ville. Certaines disparitions de personnes fréquentant ces bars, relatées par la presse de l’époque et restées irrésolues, achèvent d’attiser la curiosité du cinéaste.

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L’idée de Friedkin est donc - à l’instar de son travail sur French Connection - de mettre en scène un polar, une pure fiction, à partir d’un arrière-plan réel : le milieu des bars « cuirs » est dès lors posé comme toile de fond, et traité de manière quasi documentaire. En juillet 1979 débute le tournage très houleux de Cruising. Sous l’égide d’Arthur Bell, une partie de la communauté gay de New York s’enflamme et boycotte le tournage, sifflant au moment des prises de vue et usant de miroirs réfléchissants pour saper le travail du chef-opérateur James Contner. Pour couronner le tout, les relations entre le réalisateur et sa vedette Al Pacino ne sont guère au beau fixe : Pacino renie le film peu après sa sortie et Friedkin l’estime, très sévèrement, comme « une erreur de casting flagrante »... Le film terminé, Friedkin et son producteur Jerry Weintraub se rendent chez le Président de la MPAA, Richard Heffner, et présentent un premier montage. « C’est le pire navet qu’il m’ait été jamais donné de voir » s’exclame le Président de la Commission de censure. Le réalisateur et son producteur tentent de contrer ces premières réactions à chaud et surtout d’éviter un fameux X (l’interdiction aux moins de 18 ans) pour trouver un courageux distributeur susceptible de sortir le film en salles.

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La copie du film reste près de quarante jours aux mains de la Commission et Friedkin passe autant de journées à couper et remonter son œuvre - une scène de fist-fucking filmée dans son intégralité est notamment supprimée. Au final, Cruising sort une première fois le 15 février 1980 avec un R (interdiction aux moins de 17 ans non accompagnés, le R avait également été imposé à la sortie de L’Exorciste) puis une seconde fois le 2 juin dans une nouvelle version amputée. Entre temps, General Cinema, circuit d’exploitation équivalent à celui d’UGC, retire Cruising de l’affiche. « Le film aurait-il été bien plus provocateur (...) sans les coupes effectuées ? Il m’est impossible d’être affirmatif. » À un sens inné de la provocation, Friedkin ajoute une pointe d’ambigüité.

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Jouer à se faire peur
Bien qu’aujourd’hui la « malédiction » Cruising doive être relativisée – la genèse de la fabrication et de la sortie du film faisant, il est vrai, un peu figure d’argument marketing -, la violence pulsionnelle présente au cœur de la mise en scène et la manière dont Friedkin traite le surgissement du refoulé chez ses personnages méritent qu’on s’y attarde. C’est sans doute le traitement de l’ambigüité - qu’on pourrait rapprocher du travail d’un Sidney Lumet dans The Offence -, cette façon de ne jamais porter un jugement moral tranché sur ses personnages (« les personnages qui m’intéressent agissent sans code moral établi ») ajouté à un travail du suspense qui font de ce film une œuvre cinématographique à proprement parler et non un polar lambda pour programme télévisuel. Car il y a un peu de Hitchcock chez Friedkin. La brutalité du meurtre, dans un premier temps filmé de manière très réaliste, est peu à peu ritualisée jusqu’à devenir un élément purement graphique, que n’aurait pas renié non plus un De Palma : l’ombre, projetée sur l’écran, du couteau qui s’abat lors de la scène de meurtre dans la salle de cinéma porno n’est pas sans rappeler Psychose.

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Dans cette scène, les taches de sang sur l’écran, comme des traces de peinture sur une toile, donnent un aspect dématérialisé et désincarné au meurtre. La pulsion, le viscéral atteignent une dimension purement plastique et abstraite. La sauvagerie de l’acte est métamorphosée : la pulsion est transmutée en rite. Cruising est-il pour autant un film religieux ? Ce qui semble intéresser Friedkin ici est compris déjà dans le titre original : Cruising. C’est l’action de voyager, de partir en croisière, avec l’idée du passage d’un point A à un point B ; c’est également, mais dans un autre sens, l’idée de « drague ». Notion de traversée illustrée par les deux plans inaugural et final dont le second fait écho au premier : deux plans d’ensemble d’une même eau trouble qui sépare les deux rives de l’Hudson, renvoyant à l’espace « franchi » par Pacino qui constitue l’essentiel du drame et de la trame quasi circulaire de l’œuvre. L’eau glauque est l’espace vacant d’une violence refoulée, où tout peut arriver, d’où peuvent ressurgir des corps démembrés et dans laquelle se projette nécessairement l’angoisse du spectateur.

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Ce drame équivoque du chasseur chassé - l’enquêteur devenant l’appât - est effrayant au sens propre de ce qui provoque l’effroi, parce que toute l’ambigüité chère à Friedkin tente de s’inscrire dans une rythmique propre au suspense, c’est-à-dire dans « la dilatation d’un présent pris entre les deux possibilités contraires d’un futur imminent ». La séquence du premier meurtre paraît comme dilatée, la lenteur des gestes des personnages avant la scène de meurtre proprement dite, celle des mouvements de caméra comme ce long panoramique serré qui part du cadran du réveil et va jusqu’au corps de la future victime participent à l’orchestration préparatoire du crime. Elle contribue également au suspense, à cette coexistence angoissante de deux contraires car le spectateur pressent le moment fatidique sans connaître l’identité de l’assassin : on ne sait si l’homme en question porte le masque d’un simple amateur de sado-masochisme c’est-à-dire s’il est dans un pur rituel de simulation de la blessure ou s’il se trouve dans la posture irrationnelle d’un tueur psychopathe. On ne sait pas encore si l’acte de blesser, l’acte de faire mal va être réel ou simulé. Et la terreur du spectateur naît de ce choc entre le réel et le simulé, car il est évident qu’il y a eu, au préalable, comme un consentement de la victime à participer à ce petit jeu de massacre. En ce sens, c’est dans ces instants d’une brièveté paradoxale car foncièrement dilatés que Friedkin interroge la question de la mise en scène. Ainsi, le spectateur d’un film de suspense « est victime de sa propre fascination », « il en ressent une indisposition viscérale dont le caractère douloureux lui procure, par sa durée même, une impression de plaisir ».

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Un héros incertain
Toujours dans ce contexte de flottement moral permanent, Cruising permet également à Friedkin de travailler une figure qui lui est familière : la moralité douteuse des forces de la loi, déjà présente dans les méthodes musclées du Gene Hackman de French Connection, et que le cinéaste traitera de nouveau en 1985 dans un de ses meilleurs films : Police Fédérale, Los Angeles avec William Petersen. Ici en particulier, Friedkin conjugue, assez brutalement, la remise en cause de la confiance inspirée par le bras armé de la justice avec celle de la virilité supposée de ses éléments majoritairement mâles. On côtoie très vite ce double ébranlement des certitudes, avec l’apparition de ces deux policiers corrompus qui tirent avantage en nature de travestis qu’ils harcèlent. Mais sur un plan plus individuel et plus intime, c’est évidemment le personnage central porté par Al Pacino qui focalise ces mises en doute. Si le choix de cet acteur, sept ans après ses lauriers de Serpico, pour incarner de nouveau un flic infiltré est bien sûr tout sauf une coïncidence, le contraste entre les deux interprétations est frappant. Voilà deux personnages de policiers opiniâtres et dédiés à leur travail, mais de manière très différente. Chez Lumet, Serpico est un croisé accroché à un idéal de justice, au prix de son intimité. Chez Friedkin, en revanche, les motivations de Steve Burns sont moins aisément définissables. Dès la scène où il accepte sa mission - sa première apparition, sans exposition préalable -, son attitude montre un partage entre une ambition presque obligatoire - devenir inspecteur - et une position en retrait, une forme de résignation face à une tâche qu’il n’a pas choisi et qui ne semble pas l’affecter plus que ça, ce qui étonne au vu de la nature de l’affaire qui lui est confiée. Il ne se livre jamais, n’existe guère que par ses conversations et observations sous couverture, et par les quelques moments de répit qu’il s’accorde chez sa compagne.

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Ce sont ces parts insaisissables de sa personnalité qui prennent une dimension nouvelle à la faveur de son travail d’immersion fragilisant dans un milieu marginal. Malgré ses quelques efforts pour se raccrocher à la virilité qu’il croit sienne (scène d’amour quasi mécanique avec sa compagne), Burns, forcé de laisser derrière lui les règles de son métier jusqu’à perdre la connexion avec celui-ci (seul trait d’humour du film : il est refoulé d’une soirée costumée gay parce qu’il ne porte pas d’uniforme de policier...), ne garde de sa pratique de flic que l’attitude du chasseur traquant sa proie, tandis qu’il moule sa personnalité dans les vêtements et les échanges verbaux du milieu où il est infiltré, tout en restant à la marge même de celui-ci en refusant les rapports intimes. Loin de ses base, mais en vérité lié nulle part, définitivement marginal et livré à lui-même, son rapprochement du tueur le fragilise au point qu’on s’interroge (un peu comme pour la victime de la première scène de meurtre) sur la part de ce qui est simulé et de ce qui est révélé dans son attitude. Ces questions travaillent au trouble émanant de l’affrontement final avec le tueur, lequel tient en une assez longue suite de séquences où le comportement des antagonistes se situe quelque part entre la parade amoureuse et le numéro de tauromachie, avec estocade à la clef.

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La fin de l’enquête de Burns ne signifie pas pour autant sa délivrance, au contraire. Elle amène en vérité une conclusion d’une rare noirceur, puisqu’au lieu de signifier qu’un mal de la société a été traité, elle ne fait finalement que conjuguer à la continuité du mal à l’œuvre depuis les premiers plans, la corruption de ce qui était encore intact, et achève de mettre à terre les certitudes sur la justice faite dans cette affaire. Continuité dans le retour d’images et de figures du début : eaux troubles de l’Hudson, ombres inquiétantes errant de bar en bar, flics corrompus. Corruption dans ce que le héros hanté par son voyage traîne après lui : une autre mort - dont la violence se conjugue terriblement avec celle du tueur en série - et cet accoutrement de cuir noir qu’il ramène chez lui, comme une marque dont il n’a pas la force de se débarrasser. Censément vainqueur, Burns reste en réalité atteint par les comportements marginaux qu’il a côtoyés, et souillé par la violence qu’il a cherché à empêcher.

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Conclusion
Cruising a vieilli, incontestablement. Sa vision un rien dépassée des communautés homosexuelles à travers ses choix de représentation - artistes intellos de Greenwich Village ou amoureux du cuir noir - et son goût pour la provocation par l’exhibition d’excentricités exotiques propres à choquer le bourgeois - ces longs panoramiques sur les bassins trépidants des habitués des bars gays - incitent évidemment à relativiser sa portée au-delà de son parfum de scandale et de son témoignage d’une actualité lointaine. Ce film de genre nourri à la transgression continue néanmoins de marquer comme témoignage d’une singulière personnalité de cinéaste dont il constitue une nouvelle rampe de lancement pour le travail à venir, avec son héros incertain et ses valeurs ébranlées. Si William Friedkin aime sans doute un peu trop à cultiver une image d’amateur de soufre dansant sur le fil de la morale, il ne s’en montre pas moins agité de vraies préoccupations récurrentes de forme et de fond qu’on ne peut résumer à une simple formule, et qui révèlent, jusque dans sa manière pulsionnelle de marcher dans les pas de ses références de cinéma, une sensibilité qui fait le prix de son œuvre.

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L’avis de Shangols :
À force de fouiller, j'ai fini par tomber sur un bon film de William Friedkin. Cruising est une merveille d'audace, aussi bien dans le traitement de son sujet que dans son strict scénario, vénéneux comme c'est pas permis, d'une ambiguité larvée qui sidère au vu de son année de production. Qui, aujourd'hui, serait capable d'un tel regard sur le monde interlope des gays tendance cuir-SM, et quel star américaine aurait l'audace qu'a eue Pacino pour endosser ce personnage retors ? On ne s'étonne pas de l'aspect maudit de ce film, qui déclenchât en son temps les foudres des homophobes et des ligues de vertu : tout y est pour faire un vrai brulôt.

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Le courage, il est d'abord dans le regard de Friedkin sur cette communauté nocturne et trouble, qui se sodomise sans vergogne dans des boîtes cradouilles, obéissant à des règles complexes hyper-documentées (tu mets un bandana jaune dans la poche gauche de ton pantalon, fais gaffe à tes fesses). Sans aucune morale bien-pensante, avec une façon simple de laisser tourner la bobine face à ces scènes frontalement abordées, le gars réussit un portrait très juste de cet univers, ne cédant jamais au pittoresque, à l'anecdote, au jugement de valeur. Rarement un hétéro (et même un homo) aura réussi à toucher avec autant de sincérité et d'honnêteté la profondeur du monde gay. Les plans sont simples, droits, ne cachant rien, aussi bien dans les scènes de meurtre (très violentes, proches d'un Carpenter) que dans la simple description des clubs. Et pourtant, pas de dégoût, pas de parti pris : juste l'enregistrement d'un fait, filmé parfois avec une quasi-tendresse du regard. Les personnages interlopes de Cruising sont montrés avec une sincérité totale, et ne sont jamais enfermés dans leur folklore. Le ridicule de certaines situations (les gars ressemblent bien souvent à des Village People) est endossé avec sérieux et "intérêt". Friedkin fait tranquillement la preuve que filmer des gens qui s'enculent sans dire que c'est mal, c'était possible en 1980.

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Sur un contexte aussi sensiblement regardé, la trame n'a plus grand-chose à faire pour compléter un film déjà parfait. Et pourtant, Friedkin ose pousser sa tolérance au maximum, en faisant de Pacino un personnage très complexe. Si dans un premier temps, il prend la place du spectateur, simple témoin occulaire des actes qui le dépassent, il devient au fur et à mesure du film de plus en plus actif, de plus en plus impliqué par son enquête, jusqu'à un final d'un courage total. Dommage que l'acteur en fasse un peu trop dans sa volonté de se dédouaner des actions qu'on lui impose, surjouant la virilité hétéro avec trop de lâcheté (c'est le gars de Scarface, quand même, merde). Il gâche ainsi le rôle qui aurait pu être le sommet de sa carrière. Mais il reste quand même quelque chose de ce courage imposé par Friedkin : malgré le visible mal à l'aise de son interprète, le réalisateur parvient à lui faire faire des choses impensables chez n'importe quel acteur célèbre. Le film qui avait commencé comme un simple polar se change alors en plaidoyer, et Friedkin va résolument au bout de son idée. Sacrifiant les scènes avec Karen Allen, qui l'intéressent peu, oubliant pratiquement sa trame policière, il préfère s'attarder sur les rapports entre homos, et sur l'embringuement de Pacino dans ce monde. Chapeau bas. Le film est souvent proche d'un De Palma grand cru, dans cette thématique pointue du regard, dans cette ambiguité entre regardant et regardé. Et il y a même quelques idées surréalistes (un flic à poil qui vient tabasser un témoin au sein du commissariat) qui finissent de placer Cruising dans le haut du panier des films sulfureux. Grande réussite.

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